A l’image des changements de tunique de Link dans le dernier épisode, « Zelda » a plusieurs fois changé de registre esthétique. | Nintendo

C’est l’une des séries les plus vénérées du monde du jeu vidéo. La saga The Legend of Zelda, apparue en 1986, et encore à l’affiche en 2017 avec le très acclamé Breath of the Wild, faisait l’objet vendredi 7 juillet de l’une des conférences les plus suivies de la Japan Expo, au Parc des expositions de Villepinte.

Durant trois quarts d’heure, son producteur Eiji Aonuma, son directeur artistique Satoru Takizawa et son illustrateur Yusuke Nakano ont dévoilé les dessous de son esthétique depuis Ocarina of Time (1998), son premier épisode en trois dimensions, dévoilant au passage plusieurs croquis inédits.

  • Pour Ocarina of Time, un Link « costaud » et « androgyne »

Jusqu’à 1998, Link, le héros à la tunique verte, n’avait jamais été représenté que vu de dessus ou de profil. Satoru Takizawa, alors débutant en modélisation 3D, a la délicate mission de lui donner de l’épaisseur et du volume. « Je me demandais à quoi il ressemblerait. En tête j’avais surtout le Link de A Link to the Past [l’épisode sur Super Nintendo, sorti en 1991, en 2D]. Les seules infos dont je disposais c’était celles du directeur artistique. Il voulait un long nez et qu’il soit beau gosse. Et puisqu’il ferait des combats avec de forts ennemis, il devrait être costaud. »

Pour Ocarina of Time, la première piste était un Link bien plus musculeux. | Nintendo

Il lui faut plusieurs essais pour arriver à la version finale d’Ocarina of Time (Nintendo 64, 1998). Il reconnaît toutefois avoir eu en tête d’autres problématiques que la simple musculature du héros. « Je voulais un Link androgyne pour qu’il plaise aux filles et aux garçons », explique-t-il. Il choisit par ailleurs des couleurs vives, en s’inspirant de l’univers des comics. Ainsi naît le héros de l’aventure.

Ocarina of Time marque la première apparition de Link en 3D. | Nintendo

C’est également Satoru Takizawa qui modélise les monstres, notamment les créatures de fin de niveau. « On m’avait demandé de faire un gros boss toutes les deux semaines. A l’époque, j’ai répondu : Oh les doigts dans le nez. J’étais un peu jeune et inconscient. » Parmi ces antagonistes, l’ennemi final, Ganondorf.

Mais les joueurs retiendront surtout sa carrure menaçante et son regard noir sur les images d’illustration, dessinées elles par Yusuke Nakano. Responsable de la jaquette de Wario Land : Super Mario Land (Game Boy, 1994), ce pur artiste de crayon profite des restrictions imposées par la 3D aux modélisateurs pour s’approprier le personnage. « Il y a plein de polygones [dans le modèle de Ganondorf], mais en fait je me suis fait plaisir, explique-t-il à propos de ses dessins bien plus sophistiqués. J’adore les muscles. » M. Takizawa reconnaîtra avoir eu du mal, au départ, avec ces illustrations trop éloignées de son travail, avant d’apprendre à les apprécier.

Les illustrations officielles de Ganondorf sont bien plus détaillées que le personnage en 3D, modélisé sommairement. | Nintendo

  • Wind Waker, « un dessin animé que l’on contrôle »

Pour tout amoureux de la série, Wind Waker (GameCube, 2002) fait figure d’épisode à part. Lorsque celui-ci est présenté à la presse et aux joueurs, les réactions sont très divisées : pour la première fois, la saga quitte son registre classique pour épouser une esthétique de dessin animé. Pourquoi une telle rupture ? « Au début du développement, le réalisateur nous a donné deux consignes, explique Takizawa. Ce serait une histoire qui se passerait en mer et où Link serait un petit garçon. Je me suis dit qu’il faudrait que ce soit fun à regarder et plaisant du point de vue de l’animation. » « Un dessin animé que l’on contrôle » était d’ailleurs son slogan au Japon.

Wind Waker prend le contre-pied total de la course au réalisme, en optant pour un héros sorti d’un dessin animé. | Nintendo

Cet épisode sort par ailleurs sur une autre console que la Nintendo 64 : la GameCube, qui est plus puissante. L’équipe souhaite mettre à profit ces nouvelles ressources pour enrichir la palette d’expressions du héros. Nintendo invente même le concept de toon shading pour la technique graphique permettant d’obtenir un rendu de dessin animé. Pourtant, même en interne, la nouvelle direction artistique ne fait pas l’unanimité, y compris auprès du producteur Eiji Aonuma. « Au début je n’étais pas super convaincu par les dessins, mais en le voyant s’animer à l’écran, je l’ai trouvé super craquant », nuance-t-il.

C’est également le premier Zelda où le fonctionnement est inversé. Ce n’est plus aux illustrateurs de s’appuyer sur les modèles 3D, mais aux modélisateurs de prendre pour base de travail les dessins des artistes. « Je me suis arraché les cheveux pour ne pas trahir les illustrations de départ », confie M. Takizawa.

« Wind Waker » est le premier épisode où les illustrateurs ont un rôle aussi important : c’est eux qui définissent les personnages, reproduits au plus près en 3D. | Nintendo

  • Pour Twilight Princess, « il fallait une ambiance plus sérieuse »

Quatre ans après Wind Waker, Twilight Princess (GameCube et Wii, 2006) marque une nouvelle rupture. Le jeu est beaucoup plus réaliste, son univers crépusculaire, son esthétique proche parfois de la dark fantasy. Un sondage en ligne sur le site de Nintendo of America montre une réelle appétence des joueurs pour ce style, en pleine mode du Seigneur des anneaux au cinéma.

Twilight Princess renoue avec un registre visuel plus réaliste, parfois proche de la dark fantasy. | Nintendo

Il s’agit de l’un des rares cas où les responsables de production de Nintendo se sont ouvertement pliés aux desiderata des joueurs. « Au tout début du développement de Twilight Princess on avait prévu de garder les graphismes cartoonesques, révèle M. Takizawa. Et puis Eiji Aonuma a débarqué et a demandé des graphismes réalistes. C’est comme ça que ça a commencé. »

« J’adorais les graphismes de Wind Waker et je voulais qu’on fasse une suite, confirme Eijia Aonuma. Mais on voulait que Link soit plus mature donc il fallait une ambiance plus sérieuse. C’est pour ça qu’on est revenu sur des graphiques plus sérieux et adultes. » Satoru Takizawa révèle au passage une bête question de cohérence visuelle. « On avait besoin d’un Link chevauchant bravement sa monture. Avec les designs de Wind Waker cela donnait l’impression d’un môme faisant joujou dans un manège. » Pour Link, il donne même comme mots-clés : « Costaud, viril, âge mur. »

Les croquis pour un Link sombre et adulte n’ont pas plu. | Nintendo

Yusuke Nakano est chargé de développer sa nouvelle version, qui sera beaucoup plus sombre et âgée que le Link final. « On était sûrs que ça serait un succès phénoménal. Mais quand on demandait autour de nous, personne n’aimait nos croquis. » Ils en arrivent à un compromis entre les deux.

  • Breath of the Wild, inspirations japonaises et indices codés

Après un Skyward Sword (Wii, 2011) au monde aérien et à l’esthétique plus lumineuse, mais très critiqué pour ses longueurs, Breath of the Wild renoue avec un style visuel plus proche de l’animation japonaise. En mars dernier, Eiji Aonuma expliquait ce choix par des raisons pratiques. « Comme vous avez un monde très, très vaste dans Breath of the Wild, des dessins simplifiés permettent de rendre les objectifs à atteindre beaucoup plus lisibles et visibles. »

Breath of the Wild opte pour une esthétique épurée et lumineuse pour rendre l’horizon plus lisible. | Nintendo

Durant la conférence, les trois auteurs n’ont guère évoqué l’évolution de Link, alors même que celui-ci renonce à de nombreux codes de la saga, comme sa tunique verte. Takizawa souligne surtout l’influence de l’ère Jômon, la période mésolithique japonaise, sur la constitution du nouveau monde. Les emprunts sont discrets, mais réels.

« Il y a différentes choses plus ou moins palpables qui correspondent à l’époque : les motifs qu’on trouve sur les ruines du jeu se trouvaient sur des poteries de l’époque Jômon par exemple. Les textes sur les ruines reprennent des textes de céramiques japonaises. »

Les parchemins des cinématiques de souvenir comportent des indices. | Nintendo

Autres inspirations purement locales : les sages sont nimbés de flammes bleutées, conformément à la tradition japonaise, tandis que des reliques dessinées par Yusuke Nakano et présentées lors de flash-backs présentent des scènes de guerre inspirées du Japon féodal. Le genre de détails bien moins marquant qu’un nouveau look de héros, mais les joueurs feraient bien de leur prêter attention tout de même, dévoile Takizawa :

« En fait, ces reliques folkloriques ont un rôle de guide, elles dirigent le joueur jusqu’à finir le jeu. On y découvre pas mal d’indices pour vaincre le dernier boss beaucoup plus facilement. »