A la Kedge Business School, en juin. | Eric Nunès / Le Monde

« Allez ! Allez ! Un : une petite rotation du bassin, dans un sens et puis dans l’autre ; deux, on tourne la tête, on échauffe la nuque pour prévenir un torticolis pendant les oraux ; trois, c’est au tour des poignets et on lève les mains en l’air pour chercher le succès ! » Avec cet échauffement musculaire sur de la musique pop, il y a un peu des « Bronzés en vacances » dans l’accueil organisé par la Kedge Business School des candidats post-classe préparatoire, venus passer les oraux d’admissibilité de cette grande école de commerce.

Sophia, 20 ans, tailleur strict et cheveux sagement attachés, goûte peu la chorégraphie proposée dans l’immense hall d’entrée de l’établissement. L’ancienne lycéenne d’une école nationale militaire se fait discrète, protégée des regards par la masse de ses compagnons du jour. Comme elle, ils sont une quarantaine, mardi 27 juin, à faire étape dans la banlieue de Bordeaux pour passer un dernier test d’admission. Mais ils ne sont pas les seuls à devoir convaincre : l’école, elle aussi, sort toute sa palette d’artifices et d’arguments pour une opération de séduction.

Les recruteurs cherchent les éléments les plus prometteurs

Durant le mois de juin, ils sont plus de 10 000 étudiants à s’être inscrits à deux concours rivaux, Ecricome et BCE, voies royales pour l’accès aux grandes écoles. Après une première sélection écrite, ils parcourent la France des écoles de management pour lesquelles ils sont admissibles, où chacun fait son marché : les recruteurs à la recherche des éléments les plus prometteurs, les prétendants en quête d’une école qui corresponde au mieux à leur projet et à leurs compétences.

Hyppolyte, Stéphanois de 20 ans, a passé des oraux à Néoma Reims puis a traversé la France direction la Gironde pour tenter sa chance à Kedge. Son billet de train pour Nice (IPAG Business School) est déjà réservé. Daniela, Francilienne, a tenté sa chance dans les grandes écoles de Grenoble (GEM), Nantes, Rouen et Toulouse avant de poser son sac, pour une journée, à Bordeaux. Même parcours pour Manon, Francilienne également, qui débarque à l’accueil de Kedge et demande, inquiète : « Auriez-vous un endroit pour que je dépose ma tente ? C’est urgent… Mon entretien est dans une heure. »

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Pour accueillir et séduire ces backpackers des oraux, inutile de parler performance. Le top 30 des écoles de commerce est établi et tous les étudiants le connaissent par cœur. Kedge joue donc la carte de la bonne humeur : en première ligne, pour convaincre leurs futurs alter ego, rien de mieux que les élèves de l’école qui se muent en gentils organisateurs. Tee-shirt bleu sur les épaules, baskets et jeans en guise de panoplie, ces anciens détonnent auprès des tailleurs-pantalons portés par la plupart des candidates et le costume sombre-cravate des garçons. Quentin, élève de master, est aux commandes. Sa mission : coordonner les transports de ce petit monde, présenter sous le meilleur jour la vie associative de l’école, assurer l’intendance.

Dans l’immense cour du campus et sous un soleil estival, on bichonne le visiteur, on l’amuse, on l’occupe. Pour patienter entre les épreuves, le baby-foot vibre au son des gamelles, les chanteurs amateurs peuvent s’essayer au karaoké, le terrain de volley est à disposition, et Nathalie Hector, directrice des programmes, improvise l’animation d’un atelier ping-pong. Mais surtout, chaque tee-shirt bleu ne laisse jamais seul un costume sombre. Filles et garçons de l’école se démènent, parlent, sourient, louent la beauté de la ville restaurée et les charmes de la vie nocturne bordelaise. En un mot, on drague.

« C’est un jeu de séduction »

Minute après minute, l’heure des premiers oraux s’approche et la douce chaleur de cette ambiance estudiantine se dissipe. Les candidats sont réunis dans le grand amphithéâtre, pour une rencontre avec un dirigeant de la grande école, et l’ambiance se refroidit de quelques degrés. Jeunes hommes et jeunes femmes, disciplinés après deux années intenses de classe préparatoire, se glissent en bon ordre. Nathalie Hector s’apprête à prendre la parole.

Mais c’est en fait la bande des gentils organisateurs qui envahit la scène et se livre à une danse de bienvenue aussi mal préparée que sympathique. La démonstration est faite. Kedge n’est pas une école de danse. L’aparté chorégraphique terminé, Nathalie Hector n’échappe pas à une présentation de son école, de ses atouts (reconnaissance nationale, internationale, réseaux, dynamisme du bureau des étudiants…), flattant au passage les candidats pour leur premier choix d’orientation : la classe préparatoire, synonyme d’un aller simple vers la grande école. Mais il reste un « dernier choix important avant la vie active. Celui de la grande école, le choix du cœur », dit la directrice.

Danse de bienvenue à Kedge
Durée : 00:30

La séance est levée. Vient l’heure des oraux pour les candidats. « C’est un jeu de séduction réciproque, reconnaît Nathalie Hector, nous tentons de découvrir la personnalité de l’étudiant et en même temps de lui donner envie. » Dans les coursives, des candidats déambulent, ils parlent seuls et à voix haute, répètent des réponses préparées en amont, travaillent leur ton, leur intonation comme des comédiens. Du côté des jurys, l’oral est le moment de faire craquer ce vernis de préparation des candidats. Découvrir une personnalité et, quelquefois, tout faire pour la convaincre et la retenir.

Mais c’est au final les étudiants qui font leur choix. Les classements des écoles sont, durant les années de classe préparatoire, leur seule boussole. Le tour de France des oraux rebat un peu les cartes. Manon, strasbourgeoise, cherche « le bon combo entre l’esprit de promo, bien s’amuser et travailler. Je crois que je l’ai trouvé… A Audencia », une école de Nantes, confie-t-elle. Loin de Talence, elle suivra quand même le dernier conseil donné par la directrice des programmes de Kedge : « N’oubliez pas d’être heureux ! »