Est-il encore possible de maintenir les élections générales au Kenya censées avoir lieu dans moins d’un mois ? La question est sur toutes les lèvres depuis ce week-end à Nairobi. En effet, depuis plusieurs jours, une série d’événements imprévus a plongé le pays dans l’incertitude quant à la tenue du scrutin du 8 août.

La première mauvaise nouvelle est tombée vendredi 7 juillet. La Haute Cour de justice du pays a annoncé l’annulation pure et simple d’un contrat passé entre la Commission électorale indépendante (IEBC) et une société de Dubaï, Al-Ghurair, portant sur l’impression des bulletins de vote de la présidentielle. Dans son jugement, la cour a estimé que l’IEBC n’avait pas suffisamment consulté l’ensemble des candidats avant d’attribuer ce juteux marché de plus de 20 millions d’euros.

Un processus périlleux

La décision est une victoire inespérée pour l’opposition menée par Raila Odinga à la tête de la coalition Super Alliance Nationale (NASA). Celle-ci, craignant de possibles fraudes électorales, dénonçait depuis des semaines de supposées collusions entre la société d’impression de Dubaï et le président sortant, Uhuru Kenyatta, ainsi que sa formation politique de l’alliance Jubilee.

Mais le jugement est d’abord un camouflet pour la Commission électorale. « La décision de la Haute Cour n’est pas claire. Nous ne comprenons pas ce que les juges entendent par un supposé manque de consultation, confie au Monde Andrew Limo, chargé de la communication de l’IEBC. Mais le calendrier est formel. Les bulletins doivent être imprimés le 18 juillet, pas plus tard. »

La Commission se montre confiante. « Reporter le scrutin est un scénario que nous n’envisageons pas pour le moment », assure ainsi M. Limo. Pourtant, en l’absence des précieux bulletins, impossible d’affirmer avec certitude que les Kényans pourront bien se rendre aux urnes dans un petit mois pour désigner leur président. Dans une conférence de presse organisée samedi, l’IEBC a annoncé l’organisation d’une réunion de consultation avec l’ensemble des candidats à la présidentielle et a déclaré faire appel en justice de la décision de la Haute Cour.

Un processus périlleux. « Il faut deux à trois semaines minimum pour imprimer, vérifier et distribuer les millions de bulletins aux bureaux de vote du pays, note ainsi Nic Cheeseman, professeur à l’université de Birmingham et spécialiste du système électoral kényan. Les prochains jours seront donc cruciaux. Si la Commission électorale perd en appel, celle-ci n’aura plus le temps de sélectionner un autre imprimeur. Ce sera la fin de la présidentielle. Il n’y aura pas d’autre choix que de reporter le scrutin. »

« Notre nation est en sécurité »

Lors d’un meeting organisé dimanche dans le comté de Baringo (Rift), Uhuru Kenyatta s’est montré inflexible, dénonçant une tentative d’« intimidation » de l’opposition et rejetant tout ajournement des élections. Mais, au Kenya comme ailleurs, les mauvaises nouvelles volent en escadrille. A peine remise de la décision de la Haute Cour, la classe politique a ainsi appris avec stupéfaction, samedi matin, le décès brutal du puissant ministre de l’intérieur, Joseph Nkaissery.

L’homme, autoritaire et respecté, ancien général de l’armée devenu ministre en 2014, était l’une des pièces maîtresses du dispositif de sécurité. « M. Nkaissery est arrivé à un moment très difficile, juste après l’attaque du Westgate de 2013 [67 morts] et alors que le Kenya était frappé par de nombreux attentats, rappelle Rashid Abdi, chercheur spécialisé sur la Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group (ICG). Le fait qu’il n’y ait pas eu de nouvelle attaque de grande ampleur depuis deux ans, c’est grâce à lui. Sous son mandat, les forces de sécurité se sont professionnalisées, la coordination et les services de renseignement se sont grandement améliorés. »

Samedi, Uhuru Kenyatta a rendu hommage à son ministre décédé. « J’ai personnellement perdu un ami », a déclaré le président, visiblement affecté. « Ce décès prématuré vient aussi à un moment critique pour l’histoire du pays alors que nous approchons des élections générales, a poursuivi M. Kenyatta, souhaitant rassurer tous les Kényans sur le fait que notre nation est en sécurité. » Dès samedi, sans attendre, le ministre de l’éducation, Fred Matiang’i, fidèle du président, a immédiatement récupéré le portefeuille du défunt.

Couvre-feu de quatre-vingt-dix jours

Mais la mort de l’influent ministre met l’exécutif kényan dans une situation délicate. Dix ans après les sanglantes violences post-électorales de 2007-2008, chacun craint de voir le Kenya sombrer à nouveau dans le chaos. « Il est de la responsabilité de tout-un-chacun de garantir le droit de voter en son âme et conscience, et de pouvoir le faire en sécurité », a ainsi averti début juillet Marietje Schaake, chef de la mission d’observation de l’Union européenne dans le pays pour le scrutin.

D’autant que le Kenya est également menacé par le groupe somalien Al-Chabab, affilié à Al-Qaida. Ces dernières semaines, une série d’attentats menés par les djihadistes ont fait plusieurs dizaines de victimes à la frontière somalienne. A nouveau, samedi, au moins neuf personnes ont été assassinées dans deux villages proches du port de Lamu (sud-est). Dans la foulée, trois comtés de la côte et du Nord-Est ont été placés sous couvre-feu par les autorités pour une durée de quatre-vingt-dix jours afin d’endiguer la menace terroriste. Une décision lourde de conséquences pour l’organisation des élections dans ces régions et symbole d’un scrutin présidentiel menacé de déraillement.