Le procès de Nasser Zefzafi, leader de la contestation populaire dans le nord du Maroc, débute, lundi 10 juillet, à Casablanca alors que les manifestations ont quasiment cessé. Mais que les militants restent mobilisés pour « la libération des prisonniers ».

Emprisonné depuis la fin mai pour avoir interrompu le prêche d’un imam dans sa ville d’Al-Hoceima, Nasser Zefzafi doit passer en milieu de matinée devant les juges de la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca.

Le chef du Hirak (la « mouvance », nom donné localement à la contestation), aux harangues enflammées dénonçant « l’Etat corrompu », fait face à de lourdes charges, notamment « atteinte à la sécurité intérieure » pour lesquelles il encourt plusieurs décennies de prison.

Durcissement des autorités

Depuis la mort atroce de Mouhcine Fikri, un vendeur de poisson broyé accidentellement dans une benne à ordures fin octobre 2016, le chômeur de 39 ans menait la fronde contre le « makhzen » (pouvoir), au nom de sa région natale du Rif.

Pendant près de huit mois, la petite ville d’Al-Hoceima et la localité voisine d’Imzouren ont vibré au rythme de manifestations pacifiques, rassemblant parfois des milliers de personnes, pour le développement d’une région historiquement frondeuse, qu’elles jugent marginalisée et négligée.

La relance par l’Etat d’un vaste plan d’investissements et de chantiers d’infrastructures – avec des visites répétées de cohortes de ministres – n’a toutefois pas suffi à désamorcer la colère.

Le mois de mai a été marqué par un net durcissement des autorités dans la gestion des manifestations, de plus en plus réprimées par des forces de l’ordre, désormais omniprésentes dans la province.

Dans la foulée de l’arrestation de Nasser Zefzafi, la totalité des leaders et figures connues du Hirak a été interpellée. Les heurts se sont également multipliés, les policiers tentant tous les soirs d’empêcher ou de disperser les rassemblements de soutien aux prisonniers du Hirak.

Selon un dernier bilan officiel, 176 personnes ont été placées en détention préventive. Cent vingt sont en cours de jugement, passibles de sévères condamnations allant jusqu’à vingt mois de prison.

« Dépression grave »

Sous la pression, peut-être aussi avec l’approche de la saison estivale, les manifestations ont finalement cessé début juillet. La tension est aussi retombée avec le retrait des policiers de lieux publics emblématiques à Al-Hoceima et Imzouren, une mesure décidée par le roi Mohammed VI en signe d’apaisement, selon les autorités locales.

Mais le mouvement n’a toutefois pas totalement disparu avec la poursuite d’attroupements improvisés de jeunes sur les plages, d’appels sur les réseaux sociaux et de concerts de casseroles ou de klaxons.

La libération des détenus est devenue le nouveau leitmotiv des protestataires, qui s’inquiètent en particulier du sort de Sylia Ziani, figure féminine du mouvement, aujourd’hui en « dépression grave » selon ses avocats.

Samedi soir, une manifestation de soutien à la jeune femme de quelques dizaines de personnes a été violemment dispersée à Rabat. Plusieurs personnalités de défense des droits humains et des manifestantes ont été frappées par les policiers, a-t-on pu voir sur des images qui ont fait le tour des médias marocains.

Les autorités ont justifié leur intervention par le « refus d’obtempérer » des manifestants, ainsi que par leur intention « préméditée de provoquer et d’agresser (…) les forces publiques ».

Tortures et mauvais traitements

L’approche « sécuritaire » adoptée par les autorités reste très critiquée par les ONG et la société civile, mais également par une partie de la classe politique.

Le patron de l’Istiqlal (parti historique de l’indépendance), Hamid Chabat, a ainsi demandé samedi la remise en liberté de Nasser Zefzafi et de ses codétenus, dont la cause était « pacifique » et les revendications « économiques et sociales ».

A l’image du premier ministre islamiste Saad Eddine Al-Othmani, les principaux partis du pays sont revenus sur leurs accusations de « séparatisme » contre le mouvement de protestation « hirak ».

Et le débat fait toujours rage sur les suspicions de tortures et de mauvais traitements qu’auraient subis certains détenus.

La semaine dernière, des fuites dans la presse d’un rapport du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), un organisme officiel, ont été transmises à la justice. Ces expertises médicales ont été catégoriquement démenties par la police.

Dimanche, un « comité des familles des détenus » a demandé l’ouverture d’une enquête sur ces allégations de mauvais traitements, et a de nouveau appelé à la libération des détenus, en premier lieu de la jeune Sylia Ziani « dont l’état de santé s’est détérioré ».