C’est une question explosive. Combien de réacteurs faut-il fermer pour ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025, comme le prévoit la loi de transition énergétique d’août 2015, qu’Emmanuel Macron et Nicolas Hulot se sont engagés à respecter ?

Le ministre de la transition écologique et solidaire a pour la première fois avancé un chiffre. Au micro de RTL, lundi 10 juillet, il a annoncé : « Ce sera peut-être jusqu’à 17 réacteurs. » Dans son rapport de 2016, la Cour des comptes avait elle-même donné comme fourchette « de 17 à 20 réacteurs ». De son côté, Greenpeace a estimé qu’entre 27 et 31 réacteurs devront être mis à l’arrêt d’ici à 2025. M. Hulot retient donc une hypothèse basse, mais néanmoins réaliste.

La question du chiffrage

Un calcul simple permet de fixer les idées. Le parc atomique hexagonal, d’une puissance de 63,2 gigawatts (GW), se compose de 58 réacteurs, ou tranches. Réduire de 76,3 % (chiffre de 2015) à 50 %, soit d’environ un tiers, la part de l’électricité d’origine nucléaire suppose, à production électrique constante, de réduire d’un tiers la taille de ce parc, donc de mettre à l’arrêt une vingtaine de tranches.

Il faudrait même aller un peu au-delà. En effet, les 58 unités ne sont pas toutes de même puissance : 34 d’entre elles – les plus anciennes, mises en service entre 1977 et 1987 – sont de 900 mégawatts (MW), 20 de 1 300 MW et 4 – les plus récentes, Chooz B1 et B2 et Civaux 1 et 2 – de 1 450 MW. Les premières pèsent donc moins dans la balance. Comme il est logique de penser qu’elles seront aussi les premières visées, il faudra en « sacrifier » davantage que si le couperet tombait sur des réacteurs plus puissants.

Un autre paramètre est à prendre en compte. La loi de transition énergétique vise à la sobriété : la consommation d’énergie finale de la France devra être réduite de 50 % en 2050, et de 20 % dès 2030. Sauf à imaginer un transfert massif des besoins énergétiques vers l’électricité (avec le développement des véhicules électriques notamment), ou une montée en flèche des exportations d’électricité, la production électrique nationale est donc appelée à baisser. Ce qui, mécaniquement, fera aussi chuter le nombre de réacteurs nécessaires pour fournir la moitié du mix électrique.

M. Hulot se montre donc plutôt minimaliste dans ses projections. Sa déclaration n’en marque pas moins une rupture notable avec celle de sa prédécesseure, Ségolène Royal. Celle-ci s’était toujours refusée à un chiffrage précis, évoquant seulement « le non-redémarrage de deux à six réacteurs » à l’horizon 2023.

Sa position est donc de nature à satisfaire, au moins partiellement, les ONG qui, à l’issue de la présentation de son « plan climat », le 6 juillet, avaient critiqué l’absence de trajectoire claire pour le nucléaire. « Ne boudons pas notre plaisir », a ainsi tweeté le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard.

Reste à savoir si cette annonce se traduira par la fermeture effective de réacteurs – et de combien – durant l’actuel quinquennat, ou si les échéances seront repoussées à l’après-2022, c’est-à-dire sous le prochain mandat présidentiel, selon la stratégie mise en œuvre par le précédent gouvernement.

« On va fermer un certain nombre de réacteurs et pas un seul réacteur qui d’ailleurs, au passage, n’a pas été fermé », a assuré M. Hulot, faisant allusion à la centrale alsacienne de Fessenheim, dont l’arrêt a été différé jusqu’à la mise en service, fin 2018 ou début 2019, de l’EPR de Flamanville (Manche). La nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie, qui doit être arrêtée fin 2018 pour la période 2019-2023, devrait normalement préciser à la fois le cap et le calendrier.

La question de la méthode

Se pose encore la question de la méthode que choisira le gouvernement pour redimensionner le parc atomique. Dans son programme présidentiel, M. Macron indiquait : « Nous prendrons nos décisions stratégiques une fois que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) aura rendu ses conclusions, attendues pour 2018, sur la prolongation des centrales au-delà de 40 ans. »

De fait, le gendarme de l’atome doit rendre, non plus en 2018 comme il le prévoyait, mais courant 2019, un premier avis « générique », c’est-à-dire de principe, sur la possibilité de prolonger de dix ou vingt ans la durée de vie des réacteurs. Il se prononcera ensuite au cas par cas, au terme de la quatrième visite décennale – un examen particulièrement approfondi – de chaque tranche. Quatorze réacteurs, les plus vieux, doivent ainsi être passés au crible d’ici à 2022.

Mais le président de l’ASN, Pierre-Franck Chevet, a déjà prévenu : « Nos décisions seront fondées sur les seuls critères de sûreté, à l’exclusion de tout autre type de considération. Il ne m’appartient pas de définir la politique du gouvernement. » En clair, l’exécutif ne pourra pas se défausser sur l’autorité de sûreté pour décider où tailler dans le vif. Imaginons que l’ASN décrète que les premiers réacteurs passés en revue, ou la plupart d’entre eux, sont bons pour le service : le gouvernement serait alors contraint de mettre à la retraite d’autres réacteurs, par définition plus récents, ce qui serait très difficile à justifier.

Nicolas Hulot veut donc « planifier » lui-même les fermetures. « Derrière ces réacteurs il y a des hommes et des femmes qui travaillent, a-t-il souligné sur RTL. Chaque réacteur a une situation économique, sociale ou même de sécurité très différente. » Le 6 juillet, il avait indiqué que c’est sur la base de ces trois critères – « de sécurité, sociaux et économiques » – qu’il déterminera avec ces services quels réacteurs stopper.

Le ministre d’Etat risque toutefois de se heurter à une farouche résistance d’EDF, dont le PDG, Jean-Bernard Lévy, admet que le poids du nucléaire dans le bouquet électrique national devra à terme diminuer, mais pas aussi drastiquement ni aussi vite. En même temps que l’électricien va engager 50 milliards d’euros dans un « grand carénage » destiné à pousser ses réacteurs actuels jusqu’à cinquante ou soixante ans, M. Lévy prévoit déjà d’équiper la France de « 30 à 40 » EPR, entre 2030 et 2050, pour remplacer les unités arrivant en fin de vie. Les arbitrages sur l’avenir du nucléaire tricolore s’annoncent sous très haute tension.