Le lycée des Pontonniers, construit en 1902 au bord de l'Ill, dans le quartier de la Neustadt. Strasbourg, 6 avril 2017 | Pascal Bastien/ divergence images

Strasbourg a commencé, à la mi-juin, à installer aux entrées de la ville des panneaux bilingues, et même trilingues. « Strasbourg – StrassburgStrossburi », soit le nom de la cité en français, en allemand et en dialecte­ ­alsacien dans sa version locale. Le débat a été vif dans les journaux régionaux, sur les réseaux sociaux et même au conseil municipal, pour savoir s’il fallait préférer l’allemand littéraire ou l’alsacien populaire. Débat qui n’a pas été tranché.

Ces panneaux, qui s’ajoutent aux nombreuses plaques de rue bilingues, symbolisent une évolution importante : la capitale alsacienne et européenne assume de mieux en mieux sa « part de germanité ». Ville allemande de 1871 à 1918, puis de nouveau – et de façon plus dramatique – entre 1940 et 1944, Strasbourg a longtemps refoulé cet héritage. Puis elle a, peu à peu, relu son histoire avec des yeux neufs.

Ce fut d’abord grâce à l’élan européen né de la réconciliation franco-allemande, qui en fit la ville siège du Conseil de l’Europe, puis celle du Parlement de l’Union européenne. Ce fut ensuite par la redécouverte et l’appropriation progressive de l’empreinte allemande dans sa culture et son patrimoine. C’est enfin par le passage de plus en plus naturel du Rhin, qui coule à quelques ­kilomètres de la cathédrale de Strasbourg. Soixante-douze ans après la fin de la guerre, Strasbourg, dans une Europe malmenée par la montée de l’extrême droite, où certains rêvent d’élever des murs aux frontières, resserre ainsi ses liens avec son voisin allemand.

Geste considérable

Son maire, Roland Ries, ancien professeur de lettres, rocardien historique, discrètement tenté par le macronisme, qui siégea en remplacement de Catherine Trautmann (1997-2000), puis fut élu en 2008 puis en 2014, assure qu’il s’agit de son dernier mandat. Ce qui lui ouvre, écrit-il, Le Temps de la liberté (Hugo Doc, 220 pages, 17 euros), ouvrage dans lequel il prône « un volontarisme concret qui peut poser chaque jour, à son échelle locale mais solidement et de façon exemplaire, les cailloux blancs d’un avenir différent »

Le 28 avril a ainsi été inaugurée la ligne de tram enjambant le Rhin, pour relier Strasbourg à Kehl, en Allemagne. Côté français, l’agglomération transfrontalière est en chantier (logements, bureaux, commerces) sur un ancien no man’s land, tandis que la friche portuaire sera consacrée à la culture sous toutes ses formes, dans un projet d’Alexandre Chemetoff et Henri Bava. Dimanche 9 juillet, à Cracovie (Pologne), lors de la ­41session du Comité du patrimoine mondial de l’Unesco, Strasbourg a obtenu le classement de son « quartier allemand » de la Neustadt, vingt-neuf ans après celui de la Grande-Ile. C’est, dans cette réappropriation d’une histoire compliquée, un geste considérable.

Car la Neustadt, la « nouvelle ville », fut conçue au XIXe comme la vitrine moderne de la puissance et de l’excellence de l’empire allemand. Après la capitulation de la France à Sedan, en 1870, Strasbourg était devenue, et jusqu’en 1918, la capitale du nouveau Reichsland­Elsass-Lothringen (région d’empire Alsace-Lorraine). Cette monumentale réalisation urbaine était alors un laboratoire d’innovations techniques (eau courante, tout-à-l’égout, gaz de ville, électricité) et architecturales (en pierre et béton).

Dix mille édifices sont bâtis, la surface de la ville est triplée. Ce quartier borde le cœur médiéval de la cité enserrant de sa résille d’eau la cathédrale, broderie de grès rose des XIIIe et XVe siècles. Aux deux extrémités des 500 hectares arborés de la Neustadt, les palais du pouvoir (Palais du Rhin) et du savoir (Palais universitaire) se font face, symboles d’un équilibre nécessaire.

Ville transfrontalière

Sur la Kaiserplatz, rebaptisée place de la République, l’ancien Parlement régional, ­devenu le Théâtre national de Strasbourg (TNS), et les hautains ministères du Reichsland, la préfecture et la Trésorerie. L’importance donnée à l’éducation se mesure encore à la taille de l’université aux ­innombrables pavillons, au Jardin botanique et à la majestueuse bibliothèque. Rénovée en 2015, elle avait été achevée en 1895, en « réparation » de celle disparue dans les bombardements de 1870. La Neustadt abrite l’un des campus d’un ensemble universitaire ­fréquenté par 56 000 étudiants.

Longtemps ville frontière, Strasbourg devient ville transfrontalière. Elle construit des ponts et honore les édifices que son histoire tourmentée lui a légués. Mais elle veut surtout y stimuler les rencontres et les échanges des hommes et des idées. La ville accueille l’état-major du corps d’armée européen, le siège de la chaîne de télévision Arte, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, mène une vigoureuse politique culturelle ouverte sur l’Europe centrale. Elle a créé un Eurodistrict avec ses voisins d’outre-Rhin. Elle espère surtout que l’étiquette d’« Eurométropole », accordée en 2014, devienne une solide réalité politique et culturelle.

Ce supplément a été réalisé en collaboration avec la ville de Strasbourg.