Le lobbying patronal, exercé depuis de longs mois, a fini par porter ses fruits. Samedi 8 juillet, Edouard Philippe a dévoilé la nouvelle mouture du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) – dispositif fustigé par les organisations d’employeurs, depuis sa création en 2014, au motif qu’il serait beaucoup trop complexe donc inapplicable. Les mesures annoncées par le premier ministre visent à simplifier cet outil tout en modifiant son financement. Des « évolutions » saluées par le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), ainsi que par l’Union des entreprises de proximité (U2P).

C’est dans une lettre, envoyée samedi aux partenaires sociaux et révélée le même jour par l’AFP, que M. Philippe expose les changements à venir. Exit le C3P : il faudra désormais parler du « compte professionnel de prévention ». Le mot « pénibilité », qui heurtait les organisations d’employeurs, est donc rayé d’un trait de plume.

Suppression des « cotisations spécifiques »

Deuxième modification, de fond cette fois-ci : la procédure ne sera plus la même pour quatre des dix risques inscrits dans la loi (manutention à la main de charges, postures éprouvantes, vibrations mécaniques, risques chimiques). Jusqu’à maintenant, quand des salariés étaient exposés à un ou plusieurs de ces « facteurs », il fallait à la fois le déclarer et le mesurer. Ce qui, aux yeux du patronat, était techniquement irréalisable pour de nombreux métiers.

A l’avenir, il n’y aura plus de « pesée », s’agissant des quatre critères précédemment énumérés ; les travailleurs qui y sont soumis acquerront des « droits à départ anticipé à la retraite » s’ils développent une « maladie professionnelle » ayant été « reconnue » et entraînant un « taux d’incapacité permanente » supérieur à 10 %. « Une visite médicale de fin de carrière permettra à ces personnes de faire-valoir leurs droits », affirme le premier ministre dans son courrier.

Dernier aménagement de taille : la suppression des « cotisations spécifiques » instaurées par la loi de 2014. « Le financement des droits (…) sera organisé dans le cadre de la branche accidents du travail-maladies professionnelles [AT-MP] », indique le chef du gouvernement, sans plus de précision.

L’arbitrage de M. Philippe « libère les PME d’une obligation franchement usine à gaz », a estimé, dimanche, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, reprenant à son compte une formule martelée par le patronat. « Nous avons tenté de trouver une solution pragmatique, loin des postures idéologiques de gauche ou de droite », explique-t-on à Matignon.

« Réparation »

« L’idée, ajoute-t-on, c’est que le nombre de bénéficiaires ne soit pas différent » de celui qui aurait prévalu si le C3P était resté en l’état. La liste des maladies professionnelles « devrait évoluer », complète-t-on, ce qui laisse entendre que seront prises en compte d’autres affections, imputables aux quatre facteurs de risque susmentionnés.

Sans surprise, le Medef considère que les options proposées par l’exécutif « fonctionnent, même si ce n’est pas exactement ce que nous voulions ». « Il reste pas mal de questions pratiques à régler, observe-t-on dans l’entourage de Pierre Gattaz, le président de l’organisation patronale. Mais la solution du gouvernement permet enfin de passer à autre chose. Ça ne sera plus une épine dans le pied des chefs d’entreprise. »

Les transformations esquissées par le premier ministre « vont plutôt dans la bonne direction », relève François Asselin, président de la CPME, qui veut cependant rester « prudent », tant que tous les détails n’auront pas été réglés. En matière de financement, il espère que le schéma arrêté par le gouvernement aboutira à une « mutualisation » des coûts, partagée sur l’ensemble des secteurs d’activité. Alain Griset, le patron de l’U2P, est « satisfait » de constater que les demandes de son organisation ont été « prises en considération » : « Le premier ministre a fait des propositions, et c’est plutôt bien. »

Les annonces de M. Philippe constituent-elles « un bien ou un mal » ? A ce stade, « je ne sais pas répondre », confie Hervé Garnier, de la CFDT – organisation qui s’était démenée en faveur du C3P. Beaucoup d’inconnues subsistent, remarque-t-il, mais « je ne vais pas dire que l’idée d’instaurer un suivi médical [pour quatre critères] nous réjouit ». Car elle fait passer dans une logique de « réparation » alors que la réforme de 2014, elle, promouvait une démarche de « prévention ».

« Arnaque »

La CGT, qui n’est pas attachée au C3P, ne s’en montre pas moins très sévère. En supprimant les cotisations spécifiques et en reportant le financement sur la branche AT-MP, le gouvernement offre « un nouveau cadeau au patronat », cingle Catherine Perret, membre du bureau confédéral de la centrale syndicale. Avec le dispositif ainsi remanié, « des salariés vont partir à la retraite en mauvaise santé », alors que le but, initialement, était de prévenir de telles situations.

Rédacteur en chef de la revue Santé et travail, François Desriaux parle, pour sa part, de « retour en arrière ». « On en revient à la pénibilité vue par François Fillon dans la réforme des retraites de 2010, décrypte-t-il. Il faut être reconnu en maladie professionnelle et avoir un taux d’incapacité permanente partielle supérieur à 10 % pour bénéficier d’un départ anticipé. S’agissant des cancers professionnels, cette disposition constitue tout simplement une arnaque : du fait du temps de latence entre l’exposition et l’apparition de la pathologie, cette dernière survient souvent après la retraite. En pratique, cela risque de concerner très peu de personnes. »

Pour lui, « l’esprit de la réforme », portée par le gouvernement Ayrault, est « totalement dénaturé ». « Il s’agissait de faire partir plus tôt en retraite, ou d’ouvrir droit à un congé formation ou à un temps partiel, des salariés qui ont été exposés, pour tenir compte de leur perte d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé, rappelle-t-il. En ne faisant partir que les malades, on confond pénibilité et incapacité. » Le dispositif, dans sa version initiale, représentait « une mesure de justice sociale et d’incitation à la prévention » ; ces « deux principes » sont abandonnés ou, à tout le moins, amoindris, conclut-il.