A Deraa, le 9 juillet. | ALAA AL-FAQIR / REUTERS

Un calme fragile régnait dans le sud de la Syrie, lundi 10 juillet au matin, après l’entrée en vigueur, la veille, d’un cessez-le-feu parrainé par Washington, Moscou et Amman. Il s’agit du premier rapprochement de ce genre enregistré sur le dossier syrien entre la Russie et l’administration américaine sous l’ère Trump.

Annoncée vendredi par ses parrains, la trêve est censée faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire. Selon le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, Amman, Washington et Moscou se sont entendus « sur un mémorandum pour la création d’une zone de désescalade » dans les trois provinces méridionales concernées par cet accord : Kuneitra, limitrophe du plateau du Golan annexé par Israël, Deraa et Souweïda, ces deux dernières frontalières de la Jordanie. Dans ces zones, les combats entre groupes anti-Assad et forces prorégime s’étaient intensifiés, et Israël avait mené plusieurs frappes de « représailles » contre des positions de l’armée syrienne dans le gouvernorat de Kuneitra.

C’est la tentative de dessiner un scénario pour l’étape d’après en Syrie, une fois l’organisation Etat islamique (EI) défaite, qui semble avoir poussé Moscou et Washington à trouver un terrain d’entente. La Russie, soutien essentiel du régime syrien, espère consolider le statu quo dans le pays en faveur du camp de Bachar Al-Assad, tandis que les Etats-Unis ne donnent pas signe de vouloir reprendre la main sur des discussions pour un règlement du conflit syrien.

Nombreux points flous

La trêve des canons, présentée comme un test pour d’autres coopérations, durera-t-elle plus longtemps que les précédentes initiatives russo-américaines en 2016, qui ont rapidement échoué ? Washington assure que le contexte est plus favorable. Mais de nombreux points restent flous, y compris les modalités de surveillance du cessez-le-feu.

Fait notable, aucune délégation syrienne – ni du régime ni de l’opposition armée – n’a été invitée à la table des négociations qui ont abouti à la trêve. Lundi matin, Damas ne s’était pas encore prononcé officiellement sur l’accord. Le camp rebelle avait exprimé des inquiétudes, peu avant la signature de l’entente tripartite dans la capitale jordanienne, face à une trêve localisée.

Infographie "Le Monde"

Le sud de la Syrie fait partie des quatre zones de « désescalade » dont la mise en place a été annoncée en mai par Moscou, Ankara et Téhéran, les parrains du processus d’Astana – l’une des voies actuelles de négociations sur la Syrie, en plus des pourparlers de Genève qui reprennent ce lundi. Mais les frontières de ces régions, ainsi que l’attribution de ces zones à des contingents étrangers – qui revient à dessiner des zones sous influence étrangère – restent un sujet litigieux. La trêve entrée en vigueur apparaît pour l’instant dissociée du processus d’Astana.

Des observateurs estiment que cet accord est un signal envoyé aux forces anti-Assad du front du Sud par leurs soutiens jordanien ou américain : le sud de la Syrie (où sont actifs par ailleurs les djihadistes de l’ex-Front Al-Nosra ou de l’EI) ne peut plus être considéré comme un champ de bataille contre les forces prorégime. En réalité, cette consigne prévaut déjà depuis de longs mois, même si le front s’est récemment réchauffé.

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Amman, qui affirme avoir un « intérêt majeur dans la restauration de la stabilité et de la sécurité » en Syrie, veut voir gelées les positions militaires près de sa frontière. Un responsable jordanien cité par l’agence Associated Press affirme que la trêve, si elle se consolide, pourrait ouvrir des discussions en vue de placer la zone sous contrôle du pouvoir syrien.

Mais le cessez-le-feu répond aussi, selon cette source, à la volonté d’enrayer les avancées dans le Sud des forces pro-iraniennes, Hezbollah libanais en tête, qui soutiennent le régime, afin d’éviter la création d’un « couloir terrestre de Téhéran à Beyrouth ». Une « ligne rouge absolue » pour les puissances sunnites régionales, mais aussi pour Israël, qui a toutefois accueilli le cessez-le-feu avec réserve. « L’accord est un camouflage pour ceux qui veulent faire reculer l’Iran [sur le terrain]. Il permet aux Russes et aux Etats-Unis de se concentrer sur l’EI, et retarde [les gains] du Hezbollah [aux abords] du Golan », a écrit dans un Tweet Joshua Landis, directeur du centre d’études sur le Moyen-Orient à l’université d’Oklahoma, aux Etats-Unis.