Theresa May, la première ministre britannique, à Londres, le 11 juillet. | MATT DUNHAM / AFP

Un an après son arrivée à Downing Street grâce au vote des Britanniques en faveur du Brexit, Theresa May est aujourd’hui une première ministre en sursis – après la gifle électorale reçue aux législatives du 8 juin –, dont la stratégie de sortie de l’UE est contestée. A tel point qu’elle en appelle même, mardi 11 juillet, à l’opposition pour « relever les défis auxquels fait face le pays », pour ne pas être poussée vers la sortie. Notre correspondant au Royaume-Uni, Philippe Bernard, dresse le bilan de sa première année au pouvoir et fait le point sur ce qui attend Mme May.

Hauarii : Theresa May a-t-elle de suffisamment de cartes en main pour se maintenir au 10 Downing Street ?

Philippe Bernard : à première vue, elle a peu de cartes en main : une majorité incertaine, une cote de popularité en chute, une presse critique et plusieurs ministres qui se positionnent pour la remplacer. Son principal atout est que sa chute entraînerait le Parti conservateur dans une guerre d’ego qui pourrait déboucher sur de nouvelles élections que le Labour pourrait gagner. Certains ténors tories préfèrent qu’elle « encaisse » l’impopularité liée aux conséquences économiques du Brexit (baisse du pouvoir d’achat, délocalisations d’entreprises) quitte à la remplacer lorsqu’un accord avec Bruxelles aura été trouvé.

Alex : si Theresa May venait à démissionner, quels seraient les prétendants au 10 Downing Street ?

L’homme qui « monte » est David Davis, le ministre du Brexit, un libertarien – libéral en économie et en matière sociétale – qui a échoué en 2005 à devenir le chef des tories. Philip Hammond, le ministre des finances, thatchérien, proche des milieux d’affaires et partisan d’un maintien du maximum de liens avec l’UE, est aussi cité. De même que Boris Johnson, ex-maire de Londres et ministre des affaires étrangères, qui a mené la campagne pro-Brexit lors du référendum.

Philou : pensez-vous que l’alliance formée par Theresa May pour obtenir une majorité est durable ? Cela fait des décennies que le Royaume-Uni n’a pas eu de « minority government »…

C’est vrai, le système électoral à un seul tour dégage en principe une majorité claire et le dernier gouvernement minoritaire remonte à la fin 1996. Cette fois, Theresa May a été obligée de s’allier avec le Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord, une formation extrémiste dont les dix députés fournissent à la première ministre l’appoint pour atteindre la majorité à Westminster et gouverner. Cet attelage paraît fragile. Si un nombre significatif de députés tories votent avec le Labour – ce qui est possible sur des sujets liés au Brexit –, Theresa May peut être mise en minorité.

David : y a-t-il une opposition organisée à Theresa May au sein du Parti conservateur ? Avec quel projet ?

Non. Pour l’instant, il n’existe pas d’opposition organisée. Officiellement, tout le monde soutient Theresa May, mais certains la torpillent. George Osborne, ancien ministre des finances de David Cameron, utilise sa position de directeur de la rédaction de l’Evening Standard (quotidien gratuit à Londres) pour tirer sur elle à boulets rouges. Il l’a traitée de « cadavre ambulant ». Un ancien dirigeant du parti, Andrew Mitchell, a déclaré qu’elle avait perdu toute autorité et qu’elle devait partir. Initiative originale : Anne Soubry, la députée tory pro-européenne, et Chuka Umunna, élu du Labour, ont constitué un groupe transpartisan hostile au « hard Brexit ».

Camille : quels seraient les impacts sur les négociations du Brexit si la première ministre venait à démissionner ?

Cela dépend de qui la remplacerait. A ce stade, le Parti conservateur reste divisé sur l’Europe comme il l’est depuis des décennies. L’échec aux législatives de Theresa May, qui défend un Brexit « hard », a redonné des forces aux partisans du maintien de liens étroits. Si Philip Hammond, actuel ministre des finances, arrivait au pouvoir, cela marquerait leur victoire. Mais si Boris Johnson venait à succéder à la première ministre, une politique d’affrontement avec Bruxelles l’emporterait probablement. M. Johnson refuse, par exemple, de payer la « note de sortie » (60 à 100 milliards d’euros) présentée par l’UE pour les engagements pris par Londres.

Eric : la faiblesse de May n’est-elle pas un atout pour l’Europe pour négocier le Brexit ?

Oui cela semble évident, d’autant que les négociations sont enserrées dans un délai limité à deux ans et que la pendule tourne désormais en faveur des Vingt-Sept. Les Britanniques en sont conscients et ils sont d’ailleurs de plus en plus pessimistes sur l’issue des négociations. Plus de 55 % d’entre eux pensent que leur pays obtiendra un « mauvais accord » avec l’UE.

Zio toto : comment évaluer l’action et les résultats de Mme May jusqu’à aujourd’hui ?

Le principal problème est que la vision précise de Theresa May sur le Brexit reste pratiquement inconnue un an après son arrivée au pouvoir. Elle a répété des phrases creuses comme « le Brexit signifie le Brexit » et promis de fabuleux succès économiques grâce à la rupture avec l’UE, mais sans que l’on comprenne bien comment. Par exemple, elle a fait comme si le Royaume-Uni pouvait en même temps stopper la libre entrée des continentaux sur son sol et continuer d’exporter sans droits de douane dans le marché unique, alors que ces deux libertés sont indissociables pour l’UE.

Depuis son échec aux élections législatives anticipées du 8 juin, elle a commencé à assouplir sa position du bout des lèvres. Alors qu’elle rejetait totalement la compétence de la Cour de justice de l’UE, elle vient d’accepter que les juges européens continuent de trancher les différends pendant une période transitoire après le début de la mise en œuvre du Brexit (le 29 mars 2019).

El Piavo : le Royaume-Uni se porte-t-il mieux économiquement à la suite du Brexit ?

Non. L’incertitude liée aux négociations sur le Brexit a produit une série d’effets négatifs sur l’économie. La livre sterling a baissé de 15 %, renchérissant le coût des produits importés, notamment ceux de l’alimentation. Le pouvoir d’achat des ménages a baissé de 2 % en moyenne depuis le vote. Le moral des ménages et celui du monde des affaires souffrent également, tout comme le niveau des investissements. Sans parler des entreprises de la City qui commencent à délocaliser certains emplois à Francfort, Paris ou Dublin. En revanche, certains secteurs, notamment ceux tournés vers l’exportation, ont au contraire bénéficié de la chute de la livre.

Pascal : sur quel dossier May pourrait-elle faire des annonces à court terme afin de redorer son blason ?

Theresa May a rendu public, mardi 11 juillet, un rapport destiné à mieux protéger les 5 millions d’auto-entrepreneurs que compte le Royaume-Uni, notamment ceux qui travaillent pour Uber ou Deliveroo. Elle a déclaré vouloir faire en sorte que « tous les emplois soient justes et équitables ». Mais les timides propositions du rapport – qui veut généraliser les congés payés et les arrêts maladie, mais autorise des rémunérations inférieures au salaire minimum pendant les « heures creuses » – ont été décrites par les travaillistes comme insuffisantes au regard de la généralisation du travail précaire. Un million de Britanniques travaillent ainsi sous « contrat à zéro heure » (aucune obligation horaire pour l’employeur).

Zio toto : comment l’action de Theresa May est-elle jugée par les Britanniques pour tout ce qui ne concerne pas le Brexit ?

La campagne pour les législatives – après lesquelles Theresa May a perdu la majorité que son parti détenait – a curieusement très peu porté sur le Brexit. Les électeurs ont donc sanctionné, le 8 juin, la fermeté de la première ministre sur l’austérité, dont les effets se font sentir sur les salaires, dans les écoles et les hôpitaux notamment. Sa campagne a commencé à déraper auprès des classes moyennes lorsqu’elle a annoncé que les frais liés à la dépendance des personnes âgées seraient financés par un prélèvement sur les successions.

Antoine_lyon : on parle beaucoup des échecs de Theresa May cette année, mais quels ont été ses succès ?

Difficile d’en trouver après l’énorme bourde de l’organisation de législatives anticipées. L’activité politique étant focalisée sur le Brexit, elle n’a pas réalisé grand-chose. Sa réussite a été, pour l’heure, d’assurer la cohésion, au moins apparente, du Parti conservateur, et de renforcer… l’opposition de gauche. Son échec a un bon côté : il rompt avec une période de flou total sur le Brexit, entretenu tant par les conservateurs que par les travaillistes pour masquer leurs divisions respectives.