« Pour moi c’était du bluff ! Je croyais qu’Abdoulaye Wade n’allait jamais venir battre compagne pour les législatives. Regardez-le : il est vieux ! », s’exclame un pousseur de chariots à l’aéroport Léopold-Senghor de Dakar, où l’ex-président vient juste de débarquer, lundi 10 juillet, pour diriger la campagne électorale de la Coalition gagnante Wattu Senegaal, dont il est la tête de liste nationale pour les législatives du 30 juillet.

Abdoulaye Wade est pourtant bien là, drapé dans un grand boubou bleu rehaussé d’une broderie dorée, calot rouge et châle blanc autour du cou. Il a le regard impassible.

Elixir de jouvence

En cette fin d’après-midi, des véhicules bariolés suivent le cortège qui quitte l’aéroport, dégorgeant de militants installés sur les capots, les toits et aux portières, drapeaux et affichettes au vent. Concert de klaxons en continu, une foule en liesse brandit la photo de Wade tel un sauveur qui mérite hommage. Les militants hurlent « Gorgui mo bari dolé ! » (« Gorgui le très fort ! »), s’étreignent, font le V de la victoire devant un Wade groggy au milieu de tous. Il savoure son bain de foule comme un élixir de jouvence.

Les affiches, brandies de toutes parts, montrent un Wade et son fils Karim « splendides », font remarquer les partisans. Ce dernier, condamné en mars 2015 à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), gracié en juin 2016 par le président Macky Sall et résidant depuis au Qatar, aura été l’absent le plus présent de cet accueil triomphal. Les « jeunesses karimistes » ont pris d’assaut l’aéroport et ses environs dès le début de l’après-midi, scandant « Karim président ! ».

Une question est sur toutes les lèvres : pourquoi, malgré son âge, 91 ans officiellement, deux de plus selon certaines sources, Abdoulaye Wade revient-il en politique ? Après avoir parcouru, debout pendant deux tours d’horloge, plusieurs artères de la capitale, drainant une foule en liesse, Abdoulaye Wade apportera des éléments de réponse à la permanence de Parti démocratique sénégalais (PDS), sa formation politique : « Mon pays a besoin de moi et je suis là. Ceux qui soutiennent que je suis vieux et fatigué, ce sont eux qui sont fatigués ! Tant que l’être humain est doté de raison et de force, il doit travailler. En bon talibé [étudiant] mouride [confrérie sénégalaise], je ne me lasse jamais de travailler (…). Que plus personne ne me demande d’aller me reposer, ce message est véhiculé par mes adversaires politiques ! »

Un partisan de l’ex-président Abdoulaye Wade et de son fils Karim venu l’accueillir à son arrivée à Dakar le 10 juillet 2017. | Amadou Ndiaye

Toujours debout face au public, Abdoulaye Wade précise qu’il n’est pas revenu pour être député mais pour aider les autres leaders de sa coalition à prendre le pouvoir « et aider les Sénégalais plongés dans le désarroi par le régime de Macky Sall ». Et M. Wade, toujours un peu fâché avec les chiffres malgré un cursus mathématiques au lycée Condorcet à Paris, de jauger la foule : « En 2014, lorsque je suis revenu au Sénégal après avoir perdu le pouvoir, on disait que 3 millions de personnes [sic] m’avaient accueilli. Cette fois-ci, ce chiffre doit être revu à la hausse ! J’ai l’habitude des foules, je peux la quantifier scientifiquement. Les gens ont été partout présents, de l’aéroport à la permanence du parti et je n’ai jamais vu ça ! »

Objectif : la présidentielle 2019

Pour Ndèye Fatou Ndiaye Diop, l’une de ses anciens ministres investie sur la liste dissidente Senegaal bi gnou beug, le retour de M. Wade est dû à l’échec du PDS à mettre sur place un projet de société cohérent et à la volonté de l’ex-président de voir son fils Karim prendre un jour les rênes du pays. C’est d’ailleurs Karim qui a été choisi pour être le candidat PDS à la présidentielle de 2019, même si une grosse incertitude juridique plane sur la recevabilité de sa candidature.

Faut-il alors expliquer les motivations d’Abdoulaye Wade par une volonté d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, imposer une cohabitation au président Sall et faire voter une loi d’amnistie au profit de Karim Wade ? La question mérite d’être posée, selon Maurice Soudieck Dione, docteur en science politique et enseignant-chercheur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis.

Abdoulaye Wade démarre la campagne électorale dans un contexte marqué par la dislocation des forces de l’opposition en trois blocs : celui d’Abdoulaye Wade ; celui du maire de Dakar Khalifa Sall, emprisonné depuis le 7 mars 2017 pour une affaire de détournement de fonds publics présumé ; et celui de Modou Diagne Fada, un ancien du PDS.

Une dispersion de nature à limiter les chances d’une victoire de la Coalition dirigée par Abdoulaye Wade. « La division de l’opposition ne joue pas en sa faveur, alors que la coalition au pouvoir est restée soudée malgré les frustrations liées aux investitures, et garde un certain capital de légitimité populaire », décrypte encore Maurice Soudieck Dione.

Revigoré par son bain de foule, Abdoulaye Wade pense autrement. Il dit à qui veut l’entendre que « l’affaire est déjà pliée » et avertit le président Macky Sall de sa défaite aux législatives du 30 juillet.