Des spectateurs sur le « mont Murray ». | JUSTIN TALLIS / AFP

« In pursuit of greatness ». A peine les portes franchies, le All England Lawn Tennis and Croquet Club (AELTC) de Wimbledon, dans la banlieue sud-ouest de Londres, donne le ton au visiteur. Le club se targue d’accueillir le tournoi de tennis le plus ancien (disputé depuis 1877) et le plus prestigieux au monde. Et tout est fait pour être à la hauteur de sa réputation.

Ici, les visiteurs font leur entrée au son d’un quatuor à cordes. L’aristocratie britannique s’y donne rendez-vous tout au long de la quinzaine : on croise des messieurs endimanchés, des élégantes à chapeaux, une coupe de champagne à la main, sous des tonnelles fleuries. Le pétunia est partout – blanc, mais surtout violet, l’une des deux couleurs du club, avec le vert.

La perfection est la règle absolue. Même le gazon est taillé au millimètre près (8 mm). A la longue, le visiteur peut frôler l’indigestion devant pareil décor suranné. Mais c’est justement ce qui plaît à Patricia, 68 ans, et son fils Drew, 46 ans, venus du Sussex, lundi 10 juillet, et détenteurs de billets pour le court numéro 2. « J’apprécie que tout soit si raffiné et bien entretenu. Pour moi, ce n’est pas exagéré », insiste Patricia, installée près d’un stand de fraises à la crème et qui vient ici pour la deuxième fois.

Traditions pérennes

A Roland-Garros, les joueurs rivalisent chaque année en matière de folklore – du short-pyjama à carreaux aux ensembles zébrés en passant par la salopette. A Wimbledon, le port de la tenue blanche – de la tête aux pieds – est obligatoire depuis 1963. Ces règles établies font partie des nombreuses traditions du tournoi. Ici, on ne dit pas « men » et « women » pour désigner les joueurs et les joueuses, comme dans les autres Grands Chelems, mais « gentlemen » et « ladies ».

Et parmi les « gentlemen », il en est un qui se fond parfaitement dans le décor. Roger Federer a atteint la finale dix fois ici, et s’y est imposé sept fois (à égalité avec Pete Sampras). Plus qu’ailleurs, on y loue sa grâce et son élégance. Les journalistes britanniques lui vouent tel un culte que le terme « journaliste » n’est plus vraiment approprié pour parler de celui qu’ils désignent naturellement par « Sa Majesté ».

« C’est toujours une joie de vous voir jouer », lui a lancé l’un d’entre eux en conférence de presse au début du tournoi. Samedi, après sa qualification pour les huitièmes de finale, il s’est vu adresser un compliment encore plus gênant : « Pour un très, très vieux joueur [sic], vous vous déplacez magnifiquement. » Ce à quoi Federer a répondu : « Encore un compliment. Merci, décidément, cette conférence de presse est vraiment sympa. »

Le Suisse a les faveurs de Diane Clayton, 58 ans, assise sur la Henman Hill, la colline qui surplombe le site, rebaptisée « Murray mount » ou « Murray mound » depuis la retraite de son compatriote britannique Tim Henman. Peut-être le seul endroit où la bienséance est laissée de côté et où la simplicité reprend ses droits. On y pique-nique sur de grandes tables en bois ou bien à même le sol, sur des nappes vichy.

Des spectateurs sur le court central de Wimbledon. | ADRIAN DENNIS / AFP

C’est la septième fois que Diane Cleyton vient avec sa sœur Brenda, 60 ans. Les deux femmes portent le même débardeur rose fluo, casquette à pois du Tour de France pour l’une. « Ce qu’on aime le plus dans ce tournoi, hormis le jeu, c’est “the queing.” » Autrement dit, faire la queue – certains campent même la nuit – pour tenter de se procurer les derniers billets disponibles pour la journée. « Aujourd’hui, nous étions 2 013 personnes dans la file. C’est l’occasion de faire de jolies rencontres avec d’autres amateurs de tennis, de nouer des amitiés. C’est vraiment sympa. » Malgré de longues heures d’attente, les deux sœurs n’ont pas réussi à obtenir de billets pour un des courts principaux. Elles ont payé £25 chacune pour les annexes.

Public discipliné

Pour les courts numéro 1, 2 et 3, il faut débourser entre £68 et £82. Pour le Central, £112. Un court sous forme de musée à ciel ouvert, où les panneaux publicitaires sont proscrits et le public discipliné et bien mis. On ne siffle pas, on n’applaudit jamais pendant les points. Même Benoît Paire, qui a plusieurs fois été tenté de perdre ses nerfs durant son match contre Andy Murray lundi (défaite en trois sets), jetant un œil courroucé au gazon, s’est finalement ravisé, évacuant sa rage en criant au lieu de fracasser sa raquette au sol.

Seule entorse à la sobriété : on y boit allègrement du Pimm’s ou de la bière. Sacrilège pour un tel endroit. Comme quoi le tournoi qui se pique de la perfection recèle aussi quelques failles.