Editorial du « Monde ». A Nice, le feu d’artifice du 14-Juillet se regarde de deux manières : les gens aisés s’invitent sur les terrasses des restaurants et des appartements qui surplombent la baie des Anges ; les moins bien lotis et les touristes pique-niquent sur la plage ou se rassemblent sur la promenade des Anglais, qui longe la baie.

Il y a un an, un homme de 31 ans, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un Franco-Tunisien de Nice, a lancé un camion de 19 tonnes sur la foule qui venait d’admirer le rituel feu d’artifice. Lorsqu’il a achevé sa course, abattu par des policiers, il avait tué 86 personnes et en avait blessé quelque 450 autres. Sa première victime était une Niçoise musulmane, d’origine immigrée. Les autres étaient des touristes, français et étrangers, des étudiants de passage et des habitants de Nice, descendus de leurs quartiers pour goûter à la fête et à la magie de « la Prom’».

De nombreuses interrogations

Est-ce parce que ces gens simples, loin de la capitale et de ses centres de pouvoir, n’étaient pas équipés pour les longues batailles de procédures que demandent les enquêtes ? Est-ce parce que l’affrontement politique entre un ténor des Républicains, Christian Estrosi, alors maire adjoint de Nice, qui a tout de suite mis en cause la responsabilité de l’Etat, et un ministre de l’intérieur socialiste, Bernard Cazeneuve, qui s’est défendu en poursuivant en diffamation une responsable de la police locale, a introduit une dimension toxique dans l’affaire ? Est-ce parce que les médias et l’opinion nationale, traumatisés par les attentats de Charlie Hebdo puis du 13-Novembre, l’année précédente, n’ont pas répondu à ce deuxième attentat de masse, au milieu de l’été, par la mobilisation qu’il méritait ? Le supplément de 8 pages que nous consacrons dans cette édition au premier anniversaire de l’attentat de Nice montre en tout cas que les interrogations des familles des victimes et des habitants de Nice sur les circonstances de cette tragédie restent nombreuses.

L’une de ces interrogations porte sur la pertinence du dispositif de sécurité mis en place pour les festivités annuelles du 14-Juillet à Nice, auxquelles participaient pas moins de 30 000 personnes, dans un contexte national de menace terroriste élevée. L’enquête préliminaire conduite par le parquet de Nice a fait apparaître un décalage entre la sécurisation de l’Euro de football, dont Nice avait été une des villes hôtes, quelques jours plus tôt, et celle de la fête du 14-Juillet, en particulier sur l’appréhension du risque terroriste. Le dispositif exigé par l’UEFA avait, visiblement, conduit les organisateurs à prendre des mesures de sécurité plus draconiennes que celles en vigueur pour le feu d’artifice.

Saisie rapidement, l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, a estimé que le dispositif « n’était pas sous-dimensionné ». La justice, pour sa part, n’est pas restée passive : 23 plaintes ont été classées sans suite, une information judiciaire ouverte. Six juges d’instruction continuent de mener l’enquête et rencontrent régulièrement les familles de victimes ; leur travail, cependant, se concentre sur l’acte terroriste lui-même. Contrairement aux attentats de Paris, aucune commission d’enquête parlementaire ne s’est penchée sur celui de Nice. C’est regrettable. Les doutes qui subsistent et la douleur des familles méritent que la représentation nationale s’empare, là encore, d’une question essentielle : la sécurité de ses citoyens. D’où qu’ils soient.