Arash, Hossein et  Ashkan dans le film « Avant la fin de l’été ». | SHELLAC DISTRIBUTION

L’avis du « Monde » - A ne pas manquer

Jouons cartes sur table. D’histoire, ici, il n’y en a guère, du moins au sens canonique du terme. On trouve toutefois, dans ce drôle de film franco-suisse, du jeu avec les genres, des personnages, de l’esprit, de la liberté, de l’humour, du mouvement, de la poésie, une sacrée atmosphère et un certain suspense même.

Avant la fin de l’été vient tout droit de la sélection du Festival de Cannes devenue, au fil des ans, la plus propice à l’aventure : l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID). Il s’agit du premier long-métrage réalisé en roue libre par Maryam Goormaghtigh, 35 ans, cosmopolite et décidée, et avec la modique somme de 15 000 euros.

Les acteurs sont trois étudiants iraniens à Paris rencontrés dans un café, au cours d’une errance dans la capitale. Ils se sont fréquentés quelques années durant avec l’idée d’un film derrière la tête et se sont d’emblée montrés favorables au désir de Maryam Goormaghtigh. Il en résulte ce film qui prend la forme d’un road-movie dans la France estivale et profonde, qui nous ­entraîne sur un territoire mouvant et que l’on appellera comme on voudra : fiction documentée, documentaire fictionné ou autofiction – on en passe et des meilleures. Bref, disons que chacun, ici, interprète son propre rôle le long d’une trame mi-dirigée, mi-improvisée.

Un air de récit initiatique

Le nœud de l’affaire vient de l’annonce, par Arash, de son prochain retour plus ou moins contraint en Iran. C’est une catastrophe pour ses deux compagnons de cocagne française, Hossein et Ashkan, qui ne voient pas ce départ d’un bon œil. Le motif aura semblé suffisant à Maryam Goormaghtigh pour lancer les opérations filmiques avec, pour fil conducteur, le désir des deux amis de fomenter un voyage d’adieu qui, par le biais d’une probable et providentielle rencontre féminine, pourrait faire changer d’avis à Arash.

Les tentes aussitôt mises dans la camionnette, le film s’arrache pour une longue route faite de campings sauvages et moins sauvages, de rencontres fortuites, de défilés villageois, de rêves à la belle étoile, de musique et de filles infiniment attendues.

Définissons le trio ; d’abord Arash. Bien davantage que 100 kilos sur la balance, une tête ronde et moustachue de colosse belle époque, une vraie dégaine et des airs coquets de pacha matois. Hossein, lui, est plutôt le genre beau gosse, marié à une Française, déjà loin en fait de l’Iran où le service militaire est supposé l’attendre. Il est manifestement le plus intégré des trois et pourtant le moins tranquille : il risque de ne jamais pouvoir retourner dans son pays.

Les écrits du poète et astronome persan Omar Khayyan guident le trio dans son chemin intérieur

Ashkan, enfin, est sans doute le plus iranien du groupe. Il fait la balance entre ses deux amis, est curieux, sociable et avide de ­rencontres ; c’est un séducteur insatiable, il a les pieds sur terre en même temps que la tête dans les étoiles.

Le film avance au fil de leurs conversations et des villages traversés. C’est une amitié tendre qui lie les trois garçons, amateurs de paysages et de littérature. Pour ce voyage, leur vade-mecum n’est pas le guide Michelin mais les écrits du poète et astronome persan Omar Khayyam (XIsiècle), qu’ils feuillettent au gré des circonstances pour tenter de se situer dans leur vie. Mais savent-ils seulement où ils en sont ? Ils errent, plutôt, comme les exilés, entre la nostalgie de la mère patrie, belle marâtre, et les séductions du pays où ils séjournent, au premier rang desquelles le rayon alcool des grandes surfaces parisiennes. Le film se ressent, pour le meilleur, de cette incertitude, de ce vague à l’âme, de cette pente bénéfique à la rêverie et à la tendresse, alors que la séparation et l’arrachement semblent au bout du chemin.

Transe subtile

Avant la fin de l’été, titre, lui-même, ô combien sentimental, est ainsi une bluette mélancolique et joyeuse menée à trois, puis à cinq dès que Charlotte et ­Michèle, deux rockeuses underground sensibles au charme flou du trio, se joignent à lui pour un bout de chemin. L’impavide Arash, lui aussi, se laissera séduire, réveillant chez ses amis une passion de la casuistique amoureuse dont on suppose qu’elle remonte loin dans la tradition littéraire de leurs ancêtres.

Côté musique, une bande à la hauteur nous entraîne dans cette transe subtile, avec la chanteuse Gougoush, soit la Madonna iranienne, Hassan Sattar, l’empereur de la pop préislamique, Marc ­Siffert, le contrebassiste français, les deux rockeuses et leurs ­compositions entêtantes, ainsi que l’endiablé et épicurien Down in Mexico des Coasters.

Voilà finalement bien le genre de film ténu et ne tenant apparemment à rien, qui défie la possibilité d’expliquer ce pourquoi il est réussi. Nous pouvons dire qu’il l’est parce qu’il touche juste. Il s’inscrit à sa manière, prometteuse et sentie, dans le sillage d’un cinéma mis en œuvre avec ses sujets et libéré d’à peu près tout ce qui le contraint. On peut ainsi citer, entre autres, Jacques Rozier (Adieu Philippine, 1962), Alain Cavalier (LePlein de super, 1976), Jean-Charles Hue (La BM du Seigneur, 2010) ou Emilie Brisavoine (Pauline s’arrache, 2015). Une certaine idée du cinéma.

Film franco-suisse de Maryam Goormaghtigh. Avec Arash, Hossein, Ashkan, Charlotte, Michèle (1 h 20). Sur le web : www.shellac-altern.org/films/455