Des membres de la tribu maori de Tainui Waka. AFP PHOTO / MARTY MELVILLE / AFP PHOTO / Marty Melville | MARTY MELVILLE / AFP

Comment parler de la surdité dans une langue qui ne connaît même pas ce mot ? « On frôle le dialogue de sourds », résume ironiquement Keri Opai, responsable au centre de gestion de la santé mentale, des addictions et des handicaps Te Pou o te Whakaaro Nui. C’est devant le constat que son précieux langage maori, parlé par quelque 125 000 de ses concitoyens, était bien pauvre dans le champ lexical de la santé que ce haut fonctionnaire néo-zélandais a décidé d’agir.

Joint par Le Monde, Keri Opai raconte avoir commencé sa réflexion voilà deux ans, en partant d’un « constat jamais contesté : les mots ont un grand pouvoir ». Dès lors, il y avait « un vrai enjeu de santé publique à rendre accessibles dans la langue maori des termes devenus aujourd’hui des faits de société, que tous les citoyens doivent pleinement s’approprier ».

« Qui a une force ou une capacité différente »

C’est ainsi qu’à force de discussions avec patients et membres du monde médical, Keri Opai a constitué un glossaire de près de deux-cents mots, rendu public fin juin. On y trouve des termes aussi précis qu’aromathérapie, épilepsie ou opioïdes, mais aussi des concepts plus abstraits comme la dignité, la guérison ou encore la thérapie.

Une proposition « d’enrichissement » sans précédent de la langue maori qui s’est accompagnée d’une réflexion sur « la manière dont on parle des handicaps, traditionnellement assez péjorative dans nos langues », explique Keri Opai.

Pour désigner une personne handicapée, la langue anglaise utilise ainsi le terme de « disabled », littéralement « privé de sa capacité ». En maori, ce sera désormais « whaikaha », qu’on peut traduire par « qui a une force ou une capacité différente ». De même, c’est en constatant le « rythme de vie bien particulier » d’un de ses amis autistes que Keri Opai a déterminé le terme qui définirait ce trouble développemental : « takiwatanga », qui signifie « son propre espace-temps ».

L’initiative a été saluée par de nombreux représentants du monde de la santé. Parmi eux, le psychiatre Mason Durie a pris la plume pour signer la préface du glossaire. Il y affirme que la démarche « permet de favoriser une meilleure compréhension des maladies mentales, de leurs symptômes et de leurs conséquences, ce qui conduira à une meilleure collaboration entre le whanau [la famille élargie, terme utilisé pour désigner les 561 000 Maoris de Nouvelle-Zélande] et les services de santé publics. »

« Une langue étonnament expressive »

Reste à savoir si les locuteurs maoris vont s’approprier ce nouveau vocable. « L’idée était aussi de participer à la réinvention de notre culture, pour ne pas finir avec une langue morte parlée uniquement dans les musées », raconte Keri Opai, qui se réjouit que « le maori est une langue étonnament expressive qui favorise ce dynamisme ».

Après des décennies de déshérence politique, le « reo maori » est devenu en 1987 l’une des langues officielles de la Nouvelle-Zélande – Aotearoa, en maori – avec l’anglais et la langue des signes. Depuis, le gouvernement a mis en place de nombreuses mesures pour inciter sa pratique, en soutenant notamment la création d’écoles de langue mais aussi en finançant une chaîne de télévision dont les programmes sont quasiment exclusivement en langue maori.