Des Indiens musulmans manifestent contre l’interdiction du commerce de bétail à des fins d’abattage ou de sacrifice religieux, à Chennai, le 29 mai. | ARUN SANKAR / AFP

La politique a encore une fois été rattrapée par la justice en Inde. Mardi 11 juillet, la Cour suprême de New Delhi a suspendu le décret que le gouvernement Modi avait publié le 23 mai pour interdire le commerce de bétail sur les marchés à bestiaux à des fins d’abattage ou de sacrifices religieux. C’est un avertissement pour l’exécutif dominé par les nationalistes hindous, qui prétendait agir au nom de la lutte contre la souffrance animale.

Partant du fait qu’une majorité d’Indiens considèrent la vache comme un animal sacré, le pouvoir fédéral avait décidé, purement et simplement, de mettre un terme à la vente, non seulement de vaches, mais aussi de taureaux, bœufs, génisses, veaux, buffles et chameaux, lorsque ces derniers étaient destinés à la filière agroalimentaire ou à l’artisanat du cuir. Brusquement, ce sont deux secteurs particulièrement dynamiques de l’économie du sous-continent, estimés respectivement à 1 000 milliards et 773 milliards de roupies (13,6 milliards et 10,5 milliards d’euros), qui se sont retrouvés en grande difficulté. L’Inde, aujourd’hui à égalité avec le Brésil, assure à elle seule 20 % des exportations de bovins dans le monde, avec des volumes qui ont triplé en cinq ans pour atteindre 1,8 million de tonnes par an.

Fédéralisme

Les opposants à cette interdiction font remarquer que ces filières sont très majoritairement tenues par des musulmans et que les premiers consommateurs de viande bovine sont les dalits (autrefois appelés « intouchables »), les classes les plus défavorisées, qui trouvent là une source d’alimentation protéinée bon marché. Fin juin, des manifestations ont eu lieu dans les dix plus grandes villes du pays pour dénoncer les violences des fanatiques hindous envers les musulmans et les dalits, au nom de la défense des vaches et du fameux décret. Narendra Modi est finalement sorti de son silence. Depuis l’ashram d’Ahmedabad, où le Mahatma Gandhi vécut de longues années, le premier ministre a déclaré, le 29 juin, que les crimes dont sont victimes les amateurs de viande rouge étaient « inacceptables » et que l’apôtre de la non-violence ne les « approuverait pas ».

La Cour suprême a repris à son compte une décision rendue fin mai par la Haute Cour de justice de Madras (sud-est), qui a considéré que le fédéralisme inscrit dans la Constitution autorise chaque Etat de l’Union indienne à définir lui-même ce que sa population a le droit de manger. La suspension du décret est provisoire, dans l’attente d’un nouveau texte moins sévère, que le gouvernement Modi s’est engagé à présenter « d’ici à la fin du mois d’août ».