Images pixelisées et mal cadrées, luminosité défaillante, police et ponctuation aléatoires, musique kitsch qui s’arrête en plein couplet, utilisation abusive de l’« effet Ken Burns »… La qualité médiocre de la vidéo postée sur le compte Twitter de Donald Trump à l’occasion du G20 est loin d’être une première.

Cette série de clichés du dirigeant américain saluant chaleureusement ses homologues étrangers sur la musique Make America Great Again, composée en son honneur par une église partisane, est à l’image du reste de sa communication : brouillonne, criarde et sans filtre. Non sans rappeler l’univers de la téléréalité dont il est une figure.

Les vidéos de l’équipe Trump frappent par leur amateurisme

Le site The Outline analysait récemment les clips vidéos du président américain à l’aune de ceux de son prédécesseur. Alors que les vidéos produites par les équipes de communication de Barack Obama étaient ultra-soignées, en haute résolution et respectant une charte graphique précise, celles de l’équipe Trump frappent par leur amateurisme. Comme cet hommage à la libération de la militante égypto-américaine Aya Hijazi ou ce montage de sa rencontre avec des conducteurs de poids lourds.

D’après Paul Berry, fondateur de la plate-forme de contenus RebelMouse, cette présence non travaillée sur les réseaux est assurément voulue. « Les contenus léchés, parfaitement réalisés, c’est justement ce dont les gens ne veulent plus », explique le spécialiste à The Outline. Il ajoute :

« L’absence de honte ou de toute tentative pour améliorer la qualité des vidéos fait écho à la façon qu’a Trump de mener sa présidence. Il nous fait sentir que c’est le vrai Trump derrière le compte Twitter. Comme s’il était lui-même le hashtag #nofilter (#sansfiltre). »

Lauryn McCarter, graphiste résidente à la New York Code + Design Academy, également interrogée par le site américain, voit dans les vidéos bas de gamme une époque dont sont nostalgiques certains de ses partisans, plutôt blancs et âgés, renvoyant à ceux de Donald Reagan ou George H.W. Bush dans les années 1980 et 1990.

« La vidéo induit de l’identification, de l’empathie, et capte plus facilement l’attention »

La communication visuelle des hommes politiques est passée des écrans télévisés aux écrans de téléphones, via les réseaux sociaux. Sur Twitter, canal de diffusion préféré de Trump, ou sur Facebook, le format vidéo est de plus en plus privilégié : des capsules courtes, efficaces et réagissant rapidement à l’actualité. Il suffit de regarder la part grandissante des vidéos en autoplay sur vos murs Facebook. Selon Arnaud Mercier, professeur en communication politique à l’université Panthéon-Assas :

« Le modèle dominant de consommation d’information est celui des vidéos courtes consultées sur le smartphone, alors les politiques s’adaptent à la demande. La vidéo a en outre l’avantage d’induire de l’identification, de l’empathie et capte plus facilement l’attention. »

Les vidéos aux couleurs pop et au rythme saccadé d’En Marche ! en sont un bon exemple. « Dans les vidéos du mouvement d’Emmanuel Macron, on retrouve la volonté d’être moderne promue dans le discours et l’impression de renouvellement générationnel dans la maîtrise des outils numériques », précise le politologue qui les compare au très populaire média en ligne Brut.

L’équipe de campagne du chef de l’Etat ne lésine pas non plus sur les Facebook Live, un outil lancé en 2016 permettant de filmer des événements en direct. De sa rencontre avec les Hambourgeois à l’occasion du G20, à sa session de boxe aux journées olympiques, en passant par sa visite (peu passionnante) de la cabine d’un nouveau train, tout y passe. Pour Arnaud Mercier, ce mode de communication lui donne un « parfum d’authenticité ».

« Finalement, pour Trump comme pour Macron, dans des styles certes complètement différents, l’arbitrage entre l’esthétique et la spontanéité se fait au profit de la seconde option. »
Un paradoxe pour le « président jupitérien »

Olivier Rouquan, chercheur en sciences politiques au Cersa, y voit un paradoxe pour le « président jupitérien » autoproclamé :

« Cette communication horizontale qui vient contrebalancer la communication très verticale qu’il a mise en place sur le plan du commandement de l’Etat risque de devenir problématique. »

Emmannuel Macron et Jean-Luc Mélenchon : créer des contenus vidéos pour contourner les médias

Un autre homme politique français à l’aise avec la communication 2.0 est Jean-Luc Mélenchon. Le leader de la France insoumise s’est distingué pendant la campagne présidentielle par ses talents de YouTubeur. Sur Facebook, le nouveau député relaie ses discours exaltés au Parlement, des extraits de sa « Revue de la semaine » ou filme des manifestations en direct. « Sur les réseaux sociaux, Jean-Luc Mélenchon a créé un écosystème fermé entre lui et ses partisans, en partant du principe que de toute façon, les médias ne relaieront pas », décrypte Arnaud Mercier, auteur de l’ouvrage La communication politique.

Ses vidéos se distinguent fortement de celles d’Emmanuel Macron par leur style. Olivier Rouquan note l’approche pédagogique du premier, « Mélenchon a eu énormément de vues sur de très longues interventions pendant la campagne. Et en filmant la rue, il mène une communication à la fois contemporaine et ancrée dans l’histoire de la gauche radicale. »

En tout cas, Jean-Luc Mélenchon comme Emmanuel Macron, dont le mouvement a récemment affirmé sa volonté de devenir un média, se servent de ces contenus vidéo pour contourner les journalistes :

« Ça passe parce qu’Internet est associé à la transparence et la démocratie directe. Pourtant, les politiques y communiquent de façon tout à fait traditionnelle et créé leur propre image sans s’embêter à répondre aux questions qui pourraient être critiques. »

Comme toujours, les réseaux sociaux sont une arme à double tranchant. Une maladresse dans une vidéo en direct et c’est retour à l’envoyeur. « La contre-partie de ce mode de communication instantané c’est qu’il y a un tas d’entrepreneurs tout à fait libres et anonymes qui peuvent détourner le message, relayer des petits instants non contrôlés ou créer leur propre contenu », conclut Olivier Rouquan. A l’image de cette intervention d’un journaliste australien critiquant vertement Donald Trump pendant le G20, isolée et partagée des dizaines de milliers de fois, et qui a fini par éclipser celles du président américain.