LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine, régalez-vous avec le nouveau roman du Prix Nobel péruvien, Mario Vargas Llosa, plongez dans l’Angleterre élisabéthaine, obsédée par la conquête du monde, grâce au récit de Marie-Hélène Fraïssé ou (re)découvrez les meilleurs articles de l’historienne Madeleine Rebérioux.

ROMAN. « Aux Cinq Rues, Lima », de Mario Vargas Llosa

Le titre du nouveau roman du Prix Nobel péruvien renvoie à un quartier de la capitale, mais est aussi une métaphore du récit, carrefour où se croisent les Cardenas et les Casasbellas, deux couples de la bonne bourgeoisie péruvienne dans les années 1990 (celles des attentats et des enlèvements, du Sentier lumineux, de Tupac Amaru et du régime répressif ­d’Alberto Fujimori), plus, sorti comme un diable de sa boîte, le journaliste Rolando Garro.

Ce dernier dirige Strip-tease, un magazine à scandale. Au début du livre, l’homme montre à Cardenas des photos le représentant. Elles ont été prises une nuit d’orgie et, bien entendu, le compromettent gravement. Chantage ?

L’auteur de Conversation à la Cathédrale ou de La Tante Julia et le scribouillard (Gallimard, 1973, rééd. 2015 ; 1979) retrouve ici sa veine la plus légère. Aux Cinq Rues, Lima se présente d’abord comme une comédie à rebondissements où l’on découvre que chaque personnage cache un secret lié à la vie amoureuse ou à la sexualité.

Le dénouement joyeux est des plus inattendus. Mais le fond du roman est politique. Vargas Llosa raconte qu’il a été frappé, en lisant la presse anglo-saxonne, par le concept de post-truth, qu’il définit comme « l’idée d’un mensonge atténué pouvant être confondu avec une certaine vérité ». Pour facile à lire et amusant qu’il soit, ce roman peut être lu comme une réflexion sur cette étrange et dérangeante nouvelle frontière. La post-vérité, ou le fake plausible. Florence Noiville

GALLIMARD

Aux Cinq Rues, Lima (Cinco esquinas), de Mario Vargas Llosa, traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort, Gallimard, « Du monde entier », 304 p., 22 €.

RÉCIT. « L’Eldorado polaire de Martin Frobisher », de Marie-Hélène Fraïssé

Londres, 1576. Martin Frobisher, ombrageux navigateur au passé trouble, entreprend la plus grande expédition de sa carrière. Il est chargé de trouver, pour le compte de la Couronne britannique, le passage du Nord-Ouest vers les Indes.

Arrivé sur la Terre de Baffin, dans l’archipel arctique aujourd’hui canadien, Frobisher capture des Inuits pour preuve de sa réussite, et rentre en Angleterre avec une pierre noire, minerai de peu de prix dans lequel quelque alchimiste de renom croit cependant déceler des traces d’or. N’écoutant que sa cupidité, et les promesses du navigateur, la reine Elizabeth Ire renverra deux expéditions chargées de rapporter le « précieux » minerai…

De cette opération ruineuse et peu glorieuse, Marie-Hélène Fraïssé livre un récit d’une grande richesse, où elle explore le caractère d’un homme entêté, aveuglé par ses propres chimères et par les promesses de gloire. En toile de fond est subtilement dessinée l’Angleterre élisabéthaine, obsédée par la conquête du monde et la réussite commerciale. L’histoire de Frobisher raconte aussi une époque où la science et la magie n’ont pas encore tout à fait divorcé, où des découvreurs de « pierres philosophales » peuvent organiser d’un seul mot l’envoi d’une armada dans le Grand Nord.

La plume de Marie-Hélène Fraïssé fait entrer le lecteur dans un monde encore inconnu, à moitié rêvé, où les îles fabuleuses et les récits mythiques de navigation se mêlent encore dans les esprits et sur les cartes marines. Violaine Morin

ALBIN MICHEL

L’Eldorado polaire de Martin Frobisher, de Marie-Hélène Fraïssé, Albin Michel, 224 p., 18,50 €.

HISTOIRE. « Pour que vive l’histoire. Ecrits », de Madeleine Rebérioux

Madeleine Rebérioux (1920-2005) s’est toujours beaucoup intéressée aux livres. Et ce volumineux recueil, qui paraît douze ans après sa mort, leur rend hommage en même temps qu’à l’historienne qu’elle fut. On peut en effet lire ses meilleurs articles, auparavant dispersés, et notamment plusieurs études sur ceux qui écrivent des livres ou sur ceux qui les fabriquent.

Dans le passionnant « Critique littéraire et socialisme au tournant du siècle » (1967), elle se penche aussi sur les critiques littéraires et pointe que leur travail, tout intéressant qu’il soit, « n’a pas toujours été considéré comme intensément nécessaire dans le mouvement socialiste ».

C’est qu’elle ne manquait pas de lucidité, y compris sur les sujets qu’elle avait choisis comme thème de recherche, et que le livre décline en trois parties : « Parcours engagés dans la France contemporaine » (sur les socialismes, les syndicats et Jean Jaurès), « La République des droits » (sur l’affaire Dreyfus notamment), et « Les arts et les cultures en partage », où l’on découvrira des articles moins connus.

A la lecture, on est frappé par la fluidité d’une langue toujours vive et soignée et par la clarté de cette pensée au contact de laquelle se sont formés beaucoup d’historiens. On ne pouvait que lui souhaiter de rencontrer un cercle de lecteurs plus large. C’est chose faite. Julie Clarini

BELIN

Pour que vive l’histoire. Ecrits, de Madeleine Rebérioux, Belin, 798 p., 26 €.