Avec un paquet à 10 euros dans les trois prochaines années, la France deviendra le cinquième pays européen dont les tarifs sont les plus prohibitifs en matière de tabac, juste après l’Angleterre. | THOMAS SAMSON / AFP

Dans la droite ligne des gouvernements précédents, l’exécutif envisage d’accentuer la lutte contre le tabagisme en France en frappant les fumeurs au porte-monnaie. Lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé une augmentation « progressive à 10 euros » du prix du paquet de cigarettes, vendu à 7 euros en moyenne. Une mesure confirmée par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui souhaiterait y parvenir en trois ans.

Avec un paquet à 10 euros dans les trois prochaines années, la France deviendra le cinquième pays européen dont les tarifs sont les plus prohibitifs en matière de tabac, juste après l’Angleterre. Le Royaume-Uni, où le prix du tabac a été fortement augmenté établissant le prix du paquet à 10 euros en moyenne, est justement le pays cité en exemple par la ministre de la santé pour justifier cette hausse drastique du prix des paquets de cigarettes. « Les Anglais fumaient autant que nous avec 30 % de prévalence du tabagisme en 2005. Ils sont maintenant à moins de 20 % alors que nous sommes encore à 29 % », a-t-elle expliqué.

« Tous les pays qui ont vu une baisse importante de leur tabagisme sont passés par des hausses notables des prix du tabac », a également assuré Mme Buzyn. Une telle assertion est-elle avérée ? Pour les experts de la santé et les associations de lutte contre le tabagisme, il existe un lien entre ces deux facteurs, prix et consommation. Mais cette politique fiscale, faite de hausses successives des prix, ne suffit pas. Elle doit s’inscrire dans une approche globale, prévoyant notamment des mesures d’accompagnement des fumeurs qui décrochent.

Hausse significative et répétée

Dans son dernier rapport de lutte contre le tabagisme, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) écrit que « le moyen le plus efficace de diminuer la consommation de tabac est d’augmenter le prix du tabac et des produits du tabac en majorant les taxes ».

L’OMS estime également que « pour chaque augmentation de 10 % du prix de détail, la consommation diminue d’environ 4 % dans les pays à haut revenu et d’environ 8 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ».

En France, la dernière hausse de cette ampleur date de 2003, avec des augmentations de 8 % en janvier 2003, 18 % en octobre, et 9 % en janvier 2004. Ces mesures avaient fait passer le nombre de fumeurs de 35 % de la population adulte en 2000, à 30 % en 2005.

Depuis 2005, le prix du paquet de 20 cigarettes a augmenté de 40 % en France, passant de 5 à 7 euros en moyenne. Cette majoration a entraîné une baisse de consommation de près de 18 %. « Depuis, les hausses n’étaient que de quelques centimes et n’ont pas permis de casser véritablement la dynamique de consommation », analyse Emmanuelle Béguinot du CNCT, qui précise que ces hausses doivent être « significatives et répétées ».

« Une hausse des taxes est particulièrement dissuasive pour les jeunes et permet également qu’ils ne commencent pas à fumer », ajoute Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme (CNCT), qui précise que le tabagisme quotidien a diminué chez les 25-34 ans depuis 2010.

Si aucun calendrier n’a été donné sur la hausse prévue par le gouvernement, l’entourage de la ministre de la santé précise que les arbitrages seront rendus dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2018, discuté cet automne à l’Assemblée.

Estimant que « plus la hausse est importante, plus l’effet est dissuasif », le ministère de la santé table sur une augmentation du prix du paquet de cigarette d’environ « un euro chaque année », soit une augmentation d’environ 14 % sur le prix moyen d’un paquet de cigarettes vendu sept euros.

Approche globale

Pour éviter que « les plus démunis soient impactés par cette taxe », et ainsi permettre de « réduire les inégalités sociales », Emmanuelle Béguinot estime que cette augmentation doit être accompagnée d’autres mesures.

C’est ce qu’ont entrepris les gouvernements successifs ces dernières décennies. Depuis trente ans, la France a justement construit un cadre législatif contraignant.

La loi Evin, adoptée en 1991 et renforcée en 2006, a restreint, voire interdit, la consommation de tabac dans les lieux publics. Elle a également posé un cadre aux publicités des marques de tabac, tout en multipliant, parallèlement, les campagnes de sensibilisation.

En 2001, les mentions de type « fumer tue » ont été rendues obligatoires. En 2003, Jacques Chirac a lancé le plan cancer. La même année, sous l’égide de l’OMS, la France a signé une convention cadre sur le contrôle du tabac, prévoyant notamment de réglementer la composition des produits du tabac, de mettre à disposition des informations sur les risques du tabagisme ou encore d’interdire la vente de tabac aux mineurs.

Plus récemment, le projet de loi santé porté par Marisol Touraine a introduit, en mai 2016, le paquet de cigarettes neutre, sans logo et recouvert aux deux tiers d’avertissements sanitaires et de photos « chocs » destinées à décourager les fumeurs.

Quelques mois plus tard, en janvier 2017, elle avait annoncé que plusieurs marques de cigarettes au nom connoté trop positivement, comme Vogue, Allure ou Paradisio, allaient être interdites.

La France, mauvaise élève

Pour Emmanuelle Béguinot, la France « doit aller plus loin » pour réduire le tabagisme, notamment « en appliquant réellement les mesures qui ont été adoptées », comme celle sur l’interdiction de vente aux mineurs « qui n’est pas véritablement respectée ».

Selon elle, l’Etat devrait également s’inspirer du Canada et de l’Australie, qui ont interdit la cigarette dans certains lieux publics en extérieur, comme les plages, les parcs pour enfants ou les abords des établissements scolaires.

Une fois que le fumeur a arrêté la cigarette, il s’agit également de l’accompagner, pour éviter toute rechute. Actuellement, la Sécurité sociale rembourse à hauteur de 150 euros les traitements contre la dépendance tabagique. « Mais les personnes doivent avancer ces sommes, ce qui constitue un obstacle pour arrêter de fumer, notamment pour les plus démunis », fait savoir Emmanuelle Béguinot, qui estime que les traitements devraient être remboursés en amont. Et d’ajouter :

« Deux tiers des fumeurs souhaitent arrêter, il faut appliquer les mesures déjà adoptées et mettre des moyens financiers pour cela. »

Les chiffres sur le tabagisme restent accablants pour la France. En 2013, 73 000 décès étaient liés au tabagisme, selon l’Institut de veille sanitaire (InVS). Le tabagisme est pourtant la première cause de mortalité évitable dans le monde, selon l’OMS.

La France comprend un tiers de fumeurs, soit 16 millions de personnes – même si les chiffres restent stables depuis 2010, selon le Baromètre santé 2016. En 2016, 34,5 % des Français âgés entre 15 et 75 ans fumaient du tabac, dont 28,7 % quotidiennement. Un chiffre bien supérieur aux voisins européens, comme l’Italie et le Royaume-Uni, qui dénombrent un cinquième de fumeurs et où la baisse est continue depuis le début des années 2000.