Documentaire sur Arte Concert, à la demande

Barbara Hannigan interprète la Lulu  d’Alban Berg, en février, à Hambourg. | Markus Scholz/dpa/AP

Outre ses activités de ­cinéaste et d’acteur, ­Mathieu Amalric fait volontiers œuvre de documentariste. On se souvient avec émotion de sa contribution à la série Hopper vu par… qu’avait ­consacrée Arte au peintre américain en octobre 2012, avec un ­phoniquement subtil Next to Last (Automne 63), qui montrait que son œil savait écouter.

On a ensuite connu un autre court documentaire, disponible sur YouTube, toujours caractérisé par un raffinement phonique consommé, puisqu’il se met à l’écoute de la phonation très particulière de la soprano canadienne Barbara Hannigan. « Dans C’est presque au bout du monde, écrit le réalisateur, j’explore un mystère qui me fascine : d’où viennent ces voix inhumaines ? D’où, dans le corps, la troublante anomalie du chant prend-elle sa source ? »

La chanteuse y pratique une sorte de relaxation vibratoire qui met en jeu toutes les parties de son corps, du son presque sexuel (la main tenue en région pelvienne) jusqu’aux harmoniques de la voix de tête de celle qui fut l’interprète des partitions les plus difficiles de la musique contemporaine – où ses suraigus légendaires sont volontiers exploités.

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Mais la fascination d’Amalric pour Hannigan va par-delà ses fulgurances vocales. Car la Canadienne développe parallèlement des activités de chef d’orchestre. Et si l’on dit « parallèlement », c’est qu’il lui arrive aussi de diriger tout en chantant. Aussi bien des airs de concert de Mozart que la pièce virtuose et à mourir de rire Le Grand Macabre, de György Ligeti.

L’histoire a connu des chanteuses classiques pianistes, telles Pauline Viardot, Jane Bathori ou Irma Kolassi, qui, parfois, s’accompagnaient elles-mêmes, mais les chanteuses chef d’orchestre sont rares. Et celles abordant des partitions aussi redoutables orchestralement que la Lulu-Suite d’Alban Berg encore plus.

Autant une chanteuse au piano peut se tourner légèrement vers le public pour se faire entendre, autant il faut à celle-ci véritablement tourner le dos à tout ou partie des musiciens d’orchestre pour pouvoir être entendue de la salle. S’il est possible de chanter tout en dirigeant des musiques simples, la chose se corse quand il s’agit d’une partition aussi complexe que celle de Berg.

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Amalric suit le travail de répétition que fait Hannigan à la tête de l’orchestre hollandais Ludwig pour cette sorte de bande-annonce sonore qu’avait d’abord conçue Berg afin de promouvoir son opéra Lulu – que sa mort, en 1935, laissera inachevé.

Amalric laisse aussi la caméra filmer la partition, alors que Hannigan, oreille absolue et forte en thème, explique les redoutables et fascinantes intrications thématiques du compositeur viennois, membre de la seconde école de Vienne, qui, sous l’égide d’Arnold Schönberg, remit en question l’héritage tonal et consonant hérité d’une tradition multiséculaire.

L’orchestre Ludwig est d’évidence une formation jeune, ouverte, intelligente. On voit ses membres suivre la partition, tandis que Barbara Hannigan leur fait entendre, avec piano, le Lied de Lulu, le seul passage chanté de cette suite essentiellement orchestrale. Mais on les voit surtout dévisager, bouche bée, ce chef d’orchestre d’une nature singulière capable de cabrioles vocales d’une précision confondante. Il est à penser qu’ils ne rencontreront pas à nouveau pareil cas avant belle lurette.

Premières répétitions : Barbara Hannigan vue par Mathieu Amalric, de Mathieu Amalric (Fr., 2017, 40 min).