Une « domus » romaine fouillée par des archéologues à Auch. | INRAP

Qui parlera désormais, en ces temps de réforme de la loi sur le travail, de la pénibilité de l’emploi chez les archéologues ? A genoux voire à quatre pattes pour fouiller, dans la poussière ou la gadoue, sous la canicule ou sous la pluie… Regardons-les ici, à Auch (Gers), le teint buriné, à laver et gratter à même le sol, tesselle après tesselle, les magnifiques mosaïques d’une « domus » romaine qui sort de terre après seize siècles d’oubli.

Nous sommes sur la rive droite du Gers, qui coupe en deux la cité gasconne, dans la ville basse. Pour parodier le chanteur Jacques Dutronc, on écrira qu’ici c’était un petit jardin qui sentait bon le pays auscitain. Les mûres sont déjà noires et les prunes tombent des arbres. Un jardin sur lequel la propriétaire des lieux a prévu d’édifier une maison. Mais la verdure pousse à l’endroit où s’élevait, au début de notre ère, une ville romaine, Augusta Auscorum.

Comme l’ont confirmé des sondages, nous sommes en plein milieu de l’Auch antique, à 100 mètres du forum présumé : impossible de construire sans que des archéologues aient au préalable exploré en urgence le sous-sol. Depuis la fin du mois d’avril, sur prescription de l’Etat et fonds publics, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) met donc au jour une partie de ce qui fut jadis une vaste demeure aristocratique, la première jamais découverte à Auch.

Sous à peine 50 centimètres de terre

C’est à la fois un voyage dans le temps et une course contre la montre. Une remontée dans le passé car, sous à peine 50 centimètres de terre, se trouvent 2 mètres de vestiges étant donné que, du Ier au Ve siècle, la bâtisse a été plusieurs fois remaniée. « Dès l’origine, explique Pascal Lotti, archéologue à l’Inrap et responsable scientifique de la fouille, on est sur un habitat privé. A l’époque c’est un bâtiment avec des murs de terre. » Au IIe siècle le cadastre est modifié et, dans le courant du IIIe siècle se met en place cette grande demeure qui connaîtra deux grandes restructurations, comme en témoignent les trois niveaux repérés par les chercheurs.

Détail d’une des mosaïques découvertes dans la fouille d’une maison romaine à Auch, avec une frise de feuilles de laurier et une frise alternant oves et tridents. | INRAP

Sur le dessus – et par conséquent sur le niveau le plus récent –, les grandes mosaïques polychromes de belle facture qui vont être prélevées à partir de la mi-juillet. De nombreux motifs, géométriques et floraux, s’y mélangent. Des feuilles de lierre, de laurier, d’acanthe ; des frises avec des vagues, d’autres avec des oves séparés par des sortes de tridents ; des octogones avec des fleurs à cinq lobes ; des carrés séparés par des tresses à trois brins ; un vase solitaire…

Il faut imaginer que les murs étaient décorés avec des plaques de marbre, des mosaïques en pâte de verre et peut-être des enduits peints. « Ce n’est pas seulement une habitation, précise Pascal Lotti. C’est aussi un endroit de représentation, donc il faut que ça claque un peu… »

Grâce à la découverte d’une monnaie de Constantin Ier, on sait que cet état final de la domus est postérieur à l’an 330. C’est aussi le moment où sont installés des thermes privés. La demeure possédait également deux systèmes différents de chauffage par le sol, une technique très bien maîtrisée par les Romains, qui nécessitait un personnel abondant pour alimenter les foyers en combustible.

Course contre-la-montre

Au bord de la fouille, plusieurs décimètres sous ce niveau, d’autres mosaïques apparaissent, qui correspondent à un état antérieur de la maison. Et Pascal Lotti, montre, à un autre endroit encore plus profond – et donc plus ancien –, un troisième échantillon de sol, en béton celui-ci, agrémenté de quatre tesselles noires formant une croix.

Si la fouille d’Auch s’apparente à un contre-la-montre, c’est notamment parce que, après la dépose des mosaïques, deux strates complètes resteront à fouiller alors que le terrain devra être rendu à la propriétaire fin septembre. On comprend pourquoi Pascal Lotti est heureux de savoir qu’il n’y a pas, sous la maison romaine, un niveau d’occupation gaulois.

Petit lion sculpté retrouvé sur la fouille archéologique d’Auch. | INRAP

L’archéologue espère simplement découvrir un peu de mobilier dans les gravats qui séparent les strates car la fouille a été jusqu’ici avare en objets… à l’exception d’un splendide petit lion en ronde-bosse, sculpté dans ce que les chercheurs appellent « de la matière dure animale », quand ils n’ont pas déterminé s’il s’agit d’os, d’ivoire ou de corne.

La finesse de l’exécution est stupéfiante, que ce soit pour la crinière, les crocs ou les côtes du félin qui se devinent. Des trous percés en dessous indiquent que les pattes, manquantes, avaient été sculptées à part. Et dans les flancs du lion se trouvent d’autres orifices où, peut-être, étaient fichées des ailes…

« Un laboratoire pour comprendre »

A la fin du IVe siècle, Auch, chef-lieu de la province de Novempopulanie – qui correspond au sud de l’Aquitaine – est une ville puissante et prospère. Mais, avec l’arrivée des Wisigoths et surtout des Francs, la cité romaine « périclite, se mite, décrit Jean-Luc Boudartchouk, directeur adjoint scientifique et technique à l’Inrap Midi-Pyrénées. Elle se déplace sur les hauteurs de la rive gauche du Gers. Les maisons de la ville basse sont abandonnées et retournent à la végétation. Dès le Ve siècle on y récupère des matériaux… »

Ce qui explique pourquoi, dans l’ancienne demeure, les grands blocs de pierre qui formaient les murs ont disparu, ainsi que les dallages de marbre ou les carreaux de chauffage…

Pour les archéologues, la fouille de cette demeure permettra d’étudier l’évolution de l’architecture romaine sur plusieurs siècles. Ce sera aussi, selon les mots de Dominique Garcia, président de l’Inrap, « un laboratoire pour comprendre les rythmes d’occupation d’Auch » dans l’Antiquité.

Mais les chercheurs savent que cela ne sera que parcellaire : ils n’ont que très peu d’informations sur le réseau urbain alentour et, surtout, il leur manque toute une partie de la domus, qui se trouve sous… le terrain adjacent. Les fouilles ont cependant permis de faire ressurgir de vieux souvenirs dans le quartier : « La voisine, dit Pascal Lotti, se rappelle qu’il y a cinquante ans, au fond de la fosse à compost de ses grands-parents, il y avait de la mosaïque… » Elle doit toujours y être.