Nice, promenade des Anglais, un an après l’attentat

Le massacre perpétré le 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais à Nice reste, à ce jour, l’attentat le plus meurtrier mené par un assaillant solitaire en Occident. C’est l’un des paradoxes de ce dossier : après un an d’enquête, aucun lien n’a encore pu être établi entre son auteur, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un chauffeur-livreur tunisien de 31 ans, et des membres de l’organisation Etat islamique (EI).

Dans leur écrasante majorité, les attentats d’ampleur perpétrés ou déjoués en Europe ces dernières années ont tous été pilotés, ou à tout le moins validés, depuis la zone irako-syrienne. Mohamed Lahouaiej Bouhlel, lui, semble n’avoir jamais pris la peine de recueillir l’aval de l’organisation avant de précipiter son camion sur la foule, tuant 86 personnes et en blessant plus de 430 autres. Il n’a pas non plus laissé le moindre message d’allégeance ou de revendication, deux éléments pourtant constitutifs d’une action terroriste.

Il a en revanche semé derrière lui d’innombrables indices, dont des SMS et des numéros de téléphone, qui ont rapidement permis d’identifier ses potentiels complices. Là encore, le tueur de Nice se distingue de ses prédécesseurs : tous les terroristes ayant agi sur le sol français ont suivi les consignes de l’EI en recourant à des messageries cryptées afin de protéger leur réseau. Mohamed Lahouaiej Bouhlel n’a donc vraisemblablement pas été formé pour mener à bien une mission.

Deux jours après l’attaque, l’EI avait pourtant publié un message de revendication présentant le tueur comme « un soldat de l’Etat islamique » ayant « exécuté l’opération en réponse aux appels à cibler les citoyens des pays de la coalition ». Aucune trace là non plus d’un quelconque testament ou du moindre contact entre le « soldat » et l’organisation.

Djihadiste ou déséquilibré ?

En l’état actuel de l’enquête, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un homme perturbé, fasciné par l’ultraviolence, semble avoir été inspiré par les vidéos de propagande de l’EI en raison de ses penchants pervers davantage que par adhésion idéologique. La justice a d’ailleurs lancé des démarches pour entendre le psychiatre qu’il avait consulté au début des années 2000 en Tunisie. Dans différents entretiens accordés à la presse, ce dernier avait déclaré avoir alors diagnostiqué un « début de psychose ».

Le tueur de Nice est-il un sympathisant furtif de la cause djihadiste ou un déséquilibré ayant opportunément sublimé ses pulsions de mort en martyre ? Cette question peut sembler dépassée, tant le déclenchement à distance des instincts morbides d’individus fragiles fait désormais partie intégrante de la stratégie de l’EI.

Les spécialistes de l’EI s’accordent cependant à considérer que l’organisation ne publie jamais de revendications opportunistes. S’il se confirme qu’aucun contact n’a été établi entre le terroriste et l’organisation, cette attaque marquera donc un tournant dans la stratégie médiatique de l’EI : pour la première fois, l’organisation se sera approprié l’acte d’un déséquilibré par opportunisme, sans doute motivée par son bilan humain terrifiant.

Si Mohamed Lahouaiej Bouhlel ne semble pas avoir pris ses ordres en Syrie, il n’a vraisemblablement pas agi seul. Depuis le début de l’enquête, neuf personnes ont été mises en examen et incarcérées : cinq, dont quatre Albanais, sont impliquées dans la fourniture d’armes et quatre proches du tueur, tous d’origine tunisienne, sont soupçonnés d’avoir participé à l’élaboration de l’attaque. Mais, là encore, aucun lien avec l’EI n’a été découvert par les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (SDAT) et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

La piste italienne

L’une des rares pistes suggérant un contact entre Mohamed Lahouaiej Bouhlel et la mouvance islamiste mène les enquêteurs en Italie. Le 5 août 2015, un peu moins d’un an avant l’attaque, il avait été contrôlé dans la ville frontalière de Vintimille à bord d’une voiture en compagnie de trois hommes. A en croire un de ses complices présumés, le tueur se rendait fréquemment en Italie pour apporter de la nourriture aux migrants. Des investigations sont en cours pour établir si ces convois sont susceptibles d’être à l’origine de son passage à l’acte.

Parmi les hommes contrôlés avec lui à Vintimille figurait un certain Omar H., connu des services pour « son appartenance à la mouvance islamiste radicale », relève la SDAT dans une note. Ce Niçois de 30 ans a été, très brièvement, marié religieusement en mars 2016 avec Sarah Hervouët, une jeune femme de 23 ans qui poignardera quelques mois plus tard un policier, le 8 septembre 2016, à Boussy-Saint-Antoine (Essonne). L’enquête n’a pas encore permis d’établir si cet homme a pu jouer un rôle dans la radicalisation du tueur de Nice.