Dans « Castlevania », Dracula n’est plus un comte, mais un personnage inspiré à la fois d’un jeu vidéo et de l’histoire. | Netflix

Un fouet trempé dans de l’eau bénite, des goules sanguinaires et un suceur de sang qui somnole dans son château : voilà qui pourrait sembler on ne plus convenu pour une énième œuvre sur le thème de Dracula. Mis en ligne le 7 juillet, Castlevania, adaptation en série animée sur Netflix d’une saga de jeu vidéo née dans les années 1980, se montre en réalité bien plus ambigu. En quatre épisodes seulement, cette œuvre sombre et sanglante navigue de manière souvent imprévisible entre références et pure invention, corrigeant l’écrivain Bram Stoker tout en introduisant de nouvelles zones floues.

La série animée de Netflix se base sur le jeu vidéo japonais Castlevania III : Dracula’s Curse (Akumajôdensetsu, « La Légende du château du démon » en VO), sorti en 1989 sur la console Nintendo Entertainment System. Cet épisode canonique est bien moins connu que Castlevania I et II sur NES, et Castlevania Symphony of the Night sur PlayStation, mais il se déroule avant dans la chronologie interne de la saga.

Le point de départ de la série est le même que celui du jeu : au XVsiècle, Trevor Belmont, ancêtre du chasseur de vampires du premier épisode, Simon Belmont, se lance à l’assaut du château de Dracula. Ce vampire pratiquant de sorcellerie noire veut envahir l’Europe avec ses forces des ténèbres. Sur son chemin, comme dans le jeu vidéo, le héros affronte goules et cyclopes, et s’allie à d’autres personnages, comme la mage Sypha Belnades.

Castlevania - Teaser - Netflix

Le prince de Valachie plutôt que le comte de Transsylvanie

Dans la série de Netflix, Dracula est identifié comme étant Vlad III, surnommé Țepeș (prononcez « Tsépèï », l’empaleur) est un personnage historique réel, connu pour avoir été un chef de guerre particulièrement cruel. Le premier plan de la série, qui s’ouvre sur un paysage de crânes empalés, fait directement référence à deux éléments de sa légende : son recours au pal (un pieu vertical) pour faire exécuter les condamnés à mort et le nombre des soldats ennemis qu’il a fait tuer au combat, estimé à plusieurs dizaines de milliers. Quant à son surnom de « Dracula » (Drăculea, soit « fils du dragon » en roumain), il le tient de son père Vlad II, dit Dracul (« le dragon ») à la suite de son entrée dans l’Ordre du dragon en 1431.

Dans le jeu vidéo, l’arrière-plan historique est quasi nul, les concepteurs s’étant contentés d’évoquer vaguement un comte en Europe. La série fait plus dans le détail en évoquant la Valachie, région dont est censé être originaire Vlad III (et non la Transsylvanie, contrairement à une erreur fréquente). Au passage, elle se garde de faire référence à tout « comte » Dracula : Vlad Tepes avait en réalité le titre de prince, la Valachie étant une principauté.

NES Longplay [400] Castlevania III: Dracula's Curse

La double erreur avait été introduite par l’écrivain irlandais Bram Stoker dans son célèbre et influent roman de 1897, Dracula. L’auteur avait trouvé le nom de Dracula au hasard de ses recherches dans la bibliothèque de Whitby, où a été rédigée une partie de l’œuvre. Il avait alors déjà défini son personnage, qui devait s’appeler « comte Wampyr », et n’avait aucun lien avec Vlad Tepes.

A l’inverse, la série de Netflix situe l’action dans son contexte historique, jusqu’à évoquer régulièrement la ville roumaine de Târgoviște, où Vlad Tepes livra une de ses plus célèbres batailles. Même la date n’est pas choisie au hasard : le combat de Trevor Belmont débute en 1476, précisément l’année supposée de la mort du célèbre prince de Valachie. Ce qui au passage révèle probablement quelque peu la suite de la série, dont une saison 2 a déjà été annoncée.

L’Eglise, ennemi doublement inattendu

La série de Netflix opère ainsi une étonnante et habile synthèse entre une référence purement fictive, celle du jeu vidéo, incarnée par le héros Trevor Belmont, et un contexte historique fouillé, symbolisé par les allusions explicites à l’existence de Vlad Tepes. Mais le dessin animé se permet aussi des libertés plus surprenantes, et qui lui a déjà valu quelques critiques.

C’est notamment le cas de l’anticléricalisme de nombreux dialogues, complètement absent du jeu vidéo et très présent dans trois des quatre épisodes. Outre Dracula, l’ennemi est par exemple un évêque, et le héros se montre extrêmement virulent envers les prêtres et l’Eglise, alors que dans ses aventures de pixels, il commence sa quête devant une croix chrétienne. Le producteur de la série, Andi Shankar, a dû se défendre d’avoir livré une œuvre antichrétienne, et expliquer avoir surtout critiqué « l’hypocrisie, notamment de ceux qui détiennent le pouvoir ».

La triangulaire organisée par le scénario de la série entre Trevor Belmont, Dracula et l’Eglise résiste mal à une comparaison avec le Vlad III historique, dont l’ennemi principal fut les Ottomans, à une époque où la Turquie musulmane s’était emparée de vastes parts du territoire roumain actuel. Dans la version japonaise des jeux, le château de Dracula est lui-même rempli de symboles religieux chrétiens, qui pour la plupart ont été censurés en Occident, Nintendo of America imposant à ses partenaires d’éviter toute référence susceptible de heurter les sensibilités. De ce point de vue-là, l’œuvre de Netflix, par ailleurs déconseillée aux mineurs, prend le contre-pied total de l’œuvre d’origine.