Selon un rapport publié jeudi 13 juillet par l’ONG Global Witness, au moins 200 personnes ont été tuées en 2016 en défendant l’environnement, essentiellement au Brésil, en Colombie et aux Philippines. Populations indigènes et activistes sont concernés, « ceux qui défendent pacifiquement leurs droits, leurs logements, leurs rivières et leurs forêts », explique Billy Kyte, militant de Global Witness et principal auteur du rapport. Selon lui, rassembler des informations sur les assassinats de ces activistes est très difficile, alors que le nombre de cas est en augmentation « constante » depuis plusieurs années, et que 2016 a été « l’année la plus meurtrière » depuis le début de ce recensement en 2002.

A partir de quelles sources rassemblez-vous ces chiffres, comment travaillez-vous ?

Billy Kyte : Nous cherchons des sources journalistiques locales, des médias locaux, nous nous appuyons également sur des articles rédigés par des ONG, des rapports des Nations unies (ONU), etc. Nous travaillons dans certains pays avec des acteurs de la société civile qui ont des liens avec les autorités et particulièrement avec le bureau du procureur. Nos informations ne sont – je pense – que la partie émergée de l’iceberg, il y a évidemment des barrières à la diffusion de l’information dans certains pays.

Ce qui est très difficile, c’est de prouver le lien entre le militantisme d’une personne et son meurtre : dans tous les cas nous expliquons qu’il y a de très fortes raisons de penser que les personnes ont été tuées en raison de leur militantisme, notamment parce qu’elles avaient reçu des menaces, ou en s’appuyant sur le travail des médias et des ONG. Mais puisque si peu de personnes sont tenues responsables de ces meurtres, on ne peut être sûr à 100 %.

Qui commet ces meurtres ?

Dans certains cas, nous le savons. C’est le cas pour l’assassinat de Berta Cáceres, une militante pour l’environnement au Honduras, l’an dernier : elle a été abattue à son domicile et huit personnes sont actuellement jugées pour son meurtre. Certaines faisaient partie de l’armée hondurienne, et deux autres travaillaient pour l’entreprise derrière le barrage hydroélectrique auquel Mme Cáceres s’opposait. Ici, nous avons un exemple clair d’intérêts commerciaux et gouvernementaux travaillant ensemble pour faire taire des dissidents.

Souvent, des entreprises d’extraction auront leurs propres gardes de sécurité privés. En Colombie, l’an dernier, nous avons trouvé 22 cas où des forces paramilitaires sont potentiellement responsables de la mort de militants. Mais, dans la majorité des cas, nous n’avons pas de telles informations parce qu’il y a très peu de personnes inculpées.

Quelles sont les industries auxquelles il est le plus risqué de s’opposer pour les défenseurs de l’environnement ?

Le secteur minier est régulièrement considéré comme le secteur le plus dangereux. Nous voyons de plus en plus d’entreprises minières s’étendre sur des territoires jusqu’ici non exploités, et ces territoires mordent avec ceux de communautés indigènes, qui ont été marginalisées pendant des années, n’ont pas accès à la justice, n’ont pas été prévenues de la présence d’une mine, etc. Le secteur de l’exploitation forestière a également vu une augmentation des cas, notamment au Brésil.

Quels facteurs expliquent l’augmentation du nombre de morts ?

L’une des raisons, c’est l’augmentation de la demande en ressources naturelles. Au Brésil, par exemple, il y a eu une hausse de la déforestation au cours des deux dernières années, liées à des grosses entreprises agricoles. Une autre raison, c’est l’impunité qui règne de manière générale à ce sujet.

Les pays européens sont peu représentés dans ce rapport mais vous dites qu’ils ont une grande responsabilité…

L’Europe a un rôle important à jouer parce que beaucoup d’investissements dans les entreprises [qui lancent des projets miniers, de déforestation, etc.] viennent d’Europe. Je pense, par exemple, aux banques polonaises et finlandaises qui ont financé le projet de barrage hydraulique combattu au Honduras.

Nous appelons les entreprises et les investisseurs européens à faire plus pour s’assurer de la sécurité des activistes en agissant quand ces derniers sont menacés. Berta Cáceres, par exemple, a reçu 33 menaces de mort publiques avant d’être tuée, et à aucun moment les investisseurs ne se sont exprimés sur ces menaces.