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Le Vent se lève (2006)

Les premières séquences montrent la famille O’Donovan en butte à la brutalité des troupes britanniques, et une réalité vieille de bientôt un siècle reprend vie. En 1922, l’Armée républicaine irlandaise (IRA) a pris les armes contre l’Empire, dans ­l’espoir de mener l’ultime bataille d’une guerre qui a commencé au XIIsiècle. Pour garder l’Irlande dans le giron du royaume, Londres a envoyé des troupes dont l’armature est faite d’anciens combattants de la première guerre mondiale.

Dès le prologue, le cinéaste Ken Loach met donc en scène les forces d’occupation à l’œuvre dans une ferme irlandaise : insultes racistes, brutalités qui dissimulent à peine la panique latente de militaires en milieu hostile, et la conclusion logique de cette histoire que l’humanité aime à ­répéter : l’exécution d’un innocent – sommaire, ignoble, mais presque involontaire.

Le jeune Damien O’Donovan (Cillian Murphy) y assiste. Il s’apprête à regagner l’Angleterre pour commencer sa carrière de médecin. Cette atrocité et la bêtise d’un militaire chargé de surveiller le train qui doit l’emmener le font basculer : après un ­séjour en prison, Damien rejoint l’IRA, où il retrouve son frère Teddy (Padraic Delaney), qui monte dans la hiérarchie de ­l’organisation.

Regard tranché sur le conflit

Au fil du scénario de Paul Laverty, toutes les figures du film de résistance (l’initiation du jeune combattant à la cruauté, les choix difficiles entre la protection des populations et l’offensive contre l’ennemi…), tel qu’il s’est pratiqué depuis l’invention du cinéma, s’accomplissent. Et, pourtant, Le vent se lève est un film profondément personnel.

Ken Loach est d’une génération et d’une école de pensée qui le poussent à porter sur les événements d’Irlande un regard tranché. Il ne faudra pas chercher dans son film des excuses à la politique britannique, et la dernière partie est empreinte d’une fureur froide à l’encontre des traîtres qui préférèrent signer un compromis avec Londres plutôt que de mener jusqu’au bout le combat pour une Irlande unifiée et socialiste.

Une épopée solaire

Les frères O’Donovan se conduisent en héros et en assassins, et leurs vies s’en trouvent grandies et déformées. La guerre qu’ils mènent est artisanale, faite de longs moments d’ennui entrecoupés de paroxysme de violence. Les maximes de l’insurrection prennent ici une réalité amère : n’attaquer l’ennemi qu’en position de force signifie tirer un camion de Britanniques comme des lapins ; être comme un poisson dans l’eau veut dire que les populations seront soumises à de terribles représailles.

MARTIN DE COGAIN (Sean), SHANE NOTT (Ned), ROGER ALLAM (Sir John Hamilton), KIERAN HEGARTY (Francis), MARTIN LUCEY (Congo), CILLIAN MURPHY (Damien) | Joss Barratt/Diaphana Distribution

Dans la campagne irlandaise filmée avec amour mais sans lyrisme, cette première partie, celle de la guerre qui conduira à la victoire, va bientôt apparaître, malgré sa dureté, comme une épopée solaire. Loach a voulu accorder autant de place au moment où l’élan révolutionnaire se divise, où s’affrontent le désir de compromis et celui d’absolu. Même si le vieux militant a depuis longtemps choisi le camp – celui de l’absolu –, il ne caricature pas l’adversaire et contemple avec un amour désolé les lendemains de victoire.

Le titre original du film est celui d’une complainte irlandaise : The Wind that Shakes the Barley – « le vent qui agite l’orge ». Il convient mieux que l’épique Le vent se lève. Pour Loach, le vent de l’histoire souffle et agite les hommes sans plus d’égards qu’il n’en témoigne pour les épis. A chaque fois qu’il a mis en scène ce spectacle, Loach a pris parti. Il continue de le faire, mais il y met une sérénité, une compassion, qui en font l’un de ses films les plus émouvants.

Le vent se lève, de Ken Loach. Avec Cillian Murphy, Padraic Delaney (Irl. - GB -All., 2006, 127 min).