Dans le parc du château d’Ars, près de la Châtre (Indre), pendant le festival du Son continu | @Anaï Kervella

Dans les Maîtres sonneurs (1853), George Sand relate la vie des « cornemuseux » à la fin du XVIIIe siècle dans le Berry, contrée du centre de la France à laquelle elle resta attachée toute sa vie. Organiser ici même des Rencontres internationales de luthiers à l’occasion du centenaire de la mort de la « dame de Nohant », en 1976, était alors apparu comme une évidence pour une musicienne locale, la joueuse de vielle baroque Michèle Fromenteau, et son mari Maurice Bourg. L’événement avait été conçu pour ne connaître qu’une seule édition. Quarante ans plus tard, et après bien des péripéties, dont un dépôt de bilan, les Rencontres, devenues festival, sont encore debout.

Le Son continu – nouveau nom donné à la manifestation en référence au bourdon, une corde ou une anche générant un accord persistant sur de nombreux instruments traditionnels – est aujourd’hui le plus grand rassemblement européen de luthiers. Plus de 150 facteurs de cornemuses, vielles à roues, harpes, flûtes, accordéons, tambourins et autres dulcimers s’y retrouvent l’instant de quatre jours où bœufs, concerts et séances de danse improvisées se succèdent dans une convivialité contagieuse.

Une demi-douzaine de parquets invitent à la danse pendant le Son continu | @Anaï Kervella

La mixité générationnelle du public -15 000 visiteurs sont attendus jusqu’à dimanche – témoigne de la vitalité d’un milieu qui n’a de traditionnel que le nom. En atteste aussi une programmation proposant de nombreuses passerelles avec les musiques actuelles, comme le rap ou l’électro.

Les luthiers ne sont pas en reste. Sous les frondaisons du jardin du château d’Ars, propriété de la ville de La Châtre où la profession expose ses derniers modèles, on voit même d’étonnants instruments. Ainsi la vielle à roue motorisée de Léo Maurel, un luthier des environs de Strasbourg.

Léo Maurel jouant de sa vielle motorisée | @Anaïs Kervella

Branché à une mini-turbine électrique, l’archet circulaire de son instrument génère un accord continu que peuvent moduler des curseurs placés sur les cordes et des boutons réglant la pression des frottements. Le but : « Aller chercher le grain du son, sa texture, son côté un peu sale, à l’opposé de la pureté cristalline du piano ou de la guitare classique », explique-t-il.

Léo Maurel, 30 ans, vend ses vielles motorisées principalement à des compositeurs de musique expérimentale – ce qu’il est lui aussi – ou de « drone » (bourdon, en anglais), un genre minimaliste où les variations harmoniques sont quasiment abolies. « Créer de nouveaux instruments sur la base d’instruments anciens revient aussi à créer de nouvelles formes musicales, comme ici en privilégiant le timbre plutôt que la mélodie », poursuit cet adepte des frères François et Bernard Baschet, inventeurs avant-gardistes de structures sonores utilisant le verre et le métal.

Associer de l’électricité à un instrument ancien de plus de dix siècles n’a rien de nouveau, ceci étant. Quand, au milieu des années 1980, le luthier Denis Soriat avat donné naissance aux premières vielles électroacoustiques, un vent de réprobation s’était répandu dans le milieu des folkeux. Avec ses potentiomètres fixés à même la caisse (laquée en noir, autre sacrilège), l’instrument s’ouvrait néanmoins au champ des musiques amplifiées et à un répertoire non-traditionnel.

Luthier dans le Cantal et ancien élève de Denis Siorat, Joël Traunecker, 33 ans, a hérité de son mentor cette même exonération des contraintes et des traditions. L’une de ses vielles est ainsi dépourvue de la partie appelée le chevillier, l’excroissance en bois que les musiciens transforment en tête sculptée : « Cette partie est non seulement inutile sur le plan musical mais elle demande beaucoup de travail », justifie-t-il.

Joël Traunecker avec son prototype de « très petite vielle » | @Anaï Kervella

Dans le même souci d’économie, il a conçu une vieille encore plus minimaliste qu’il a baptisée la TPV - la très petite vielle – en souvenir de la 2CV, dont le nom initial fut la « toute petite voiture ». Son poids ne dépasse le kilo, son bois est huilé (et non vernis) et seules trois cordes garnissent sa table d’harmonie. « C’est un modèle idéal pour les bœufs, qui revient à l’essentiel de l’instrument », détaille-t-il.

La même philosophie habite Nicolas Galleazzi, un facteur de cornemuse basé à Clermont-Ferrand. Excepté en Bretagne, l’instrument a connu en France une longue période de déclin, entre la fin du XIXe siècle et les années 1950. Son renouveau s’est alors accompagné d’une surenchère chromatique sur le tuyau mélodique, rendue possible par le rajout de clés (comme sur une clarinette), ceci au détriment du timbre généré par le bourdon.

Le facteur de cornemuse Nicolas Galleazzi | @Anaïs Kervella

« Ce genre d’innovations correspondait à la mode du jazz rock que l’on jouait dans les années 1980 : les compositions avaient alors besoin de beaucoup de notes, il fallait que cela « tricote », se souvient-il. Les musiques actuelles, en particulier l’électro, remettent aujourd’hui le timbre au goût du jour. La modernité n’est plus dans le nombre de clés qui permettent d’aller plus haut et plus vite, mais dans des gammes naturelles qui donnent plus de volume au son car l’harmonique et le bourdon peuvent s’amplifier mutuellement. »

Nicolas Galleazzi a entrepris des recherches historiques afin de retrouver la taille des trous des cornemuses d’antan, et l’espace existant entre eux. Ses modèles sont très demandés, il faut un an d’attente avant de pouvoir s’en procurer une. Dimanche, l’artisan sera invité à rejoindre le « serpent », un cortège d’instrumentistes et de luthiers qui déambulera de stand en stand jusqu’à son arrivée, au pied du château d’Ars, où l’attendront les créateurs de l’événement, Michèle Fromenteau et Maurice Bourg. À qui hommage sera rendu, au son envahissant du bourdon.

Le Son continu, jusqu’au dimanche 16 juillet, au château d’Ars (Indre)