L’auteur Maurice Sendak, en 1985, avec l’une de ses créatures. | LS / AP / SIPA

Un miracle comme il en survient dans les fables. Cinq ans après la mort de Maurice Sendak, un livre illustré pour enfants vient d’être retrouvé dans ses archives personnelles par la femme de ménage, assistante et confidente de l’auteur de littérature jeunesse. Presto and Zesto in Limboland, coécrit avec son ami Arthur Yorinks, devrait sortir aux États-Unis en automne 2018.

Une œuvre majeure du XXe siècle

Si la découverte d’un manuscrit posthume fait l’effet d’une bombe éditoriale, c’est que Maurice Sendak, disparu en 2012 à 83 ans, tient une place à part dans la littérature américaine. Acariâtre, secrètement homosexuel, travaillant avec pour seuls compagnons d’aventures Mozart et son chien Herman (en hommage à Melville), Sendak était d’abord vu de son vivant comme un auteur majeur. Un passeur exceptionnel entre le monde pastel et sécurisé des nurseries et les peurs primales de l’enfance.

Si la France a Le Petit Prince, les États-Unis ont Max et les Maximonstres (en langue originale, Where The Wild Things Are : les monstres sont littéralement des « choses sauvages »). Sorti en 1963, le livre y a été consacré comme une œuvre majeure du XXe  siècle, adapté en film et à l’opéra. L’histoire met en scène Max, un garnement renvoyé dans sa chambre sans souper, qui se perd dans la jungle et rencontre des créatures horribles. Lesquelles, lors d’un sabbat, le couronnent « roi des monstres ». Au climax du récit, le trait s’assombrit d’une aura païenne, quasi moyenâgeuse, qu’on oublie en grandissant mais garde enfouie.

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La disparition en 2012 de Sendak, qui a fait la « une » du New York Times, a fait ressurgir chez de nombreux adultes des odeurs d’enfance et des flashs de monstres aux yeux jaunes dansant la samba.

« La qualité [de Max et les Maximonstres] tient à son rythme et à l’extraordinaire équilibre du texte et de l’illustration, écrivait Aline Antoine, critique jeunesse, en 1971. Il est composé comme une musique. Cela commence doucement : quelques lignes en face d’une image petite, assez sombre ; puis les couleurs s’éclairent et l’image grandit jusqu’à couvrir toute la page. Elle déborde sur l’autre page, les couleurs sont de plus en plus intenses, le rêve envahit tout, le texte disparaît. Il y a alors trois doubles pages avec les monstres comme un fortissimo : la terrible fête. Puis Max quitte le pays des monstres, l’image redevient plus petite, les couleurs plus douces, tout est en ordre et tranquille. »

Subversif, à la lisière du toxique

Auteur de plus de 80 livres, Sendak se déclarait volontiers « fou » ; à défaut, pas gâté par l’existence. Un enfant de Brooklyn né en 1928, chétif, toujours malade (il a appris à lire au lit), le petit Maurice est jeté dans un monde terrifiant, celui de la Grande Dépression et des camps nazis, où des membres de sa famille périront – la nouvelle tombe le jour de sa bar-mitsva.

Max est un petit merdeux, colérique et autoritaire. Le héros du Sendak exhumé, écrit en 1990, sera-t-il de la même trempe ?

« Ce nest pas naturel de penser lenfance comme un coin de ciel bleu », dira celui qui a toujours « refusé de mentir aux enfants ». Les maximonstres sont inspirés des membres de sa famille, migrants d’Europe de l’Est débarquant aux États-Unis, « négligés, hirsutes, avec des dents horribles et des poils sortant du nez ».

Max traîne à sa sortie une aura subversive, à la lisière du toxique, qui sert son succès dans des années 1970 avides de contre-modèles. Sendak cassait un code, celui de la littérature jeunesse moralisante. Il donnait vie à la folie du « ça » – délires de grandeur, cauchemars, colère enfantine – et prenait à contre-pied les histoires d’enfants irréprochables : Max est un petit merdeux, colérique et autoritaire. Le héros du Sendak exhumé, écrit en 1990, sera-t-il de la même trempe ?

On sait au moins le plaisir que Sendak a eu à le produire grâce à son coauteur Arthur Yorinks : « Le souvenir de son écriture mest revenu dune manière délicieuse, dit-il à l’hebdomadaire Publishers Weekly. Nous avons beaucoup ri, pour deux gars si dépressifs. »