Le « trône de fer » sur lequel posent les fans de la série « Game of Thrones », dans un bar thématique de Washington (Etats-Unis), le 12 juillet. | MANDEL NGAN / AFP

Au nord de Westeros se dresse un gigantesque mur de glace. Si l’on prend la route vers la pointe sud, Dorne est bercée par le roulis des vagues qui s’écrasent sur la côte. Par delà la mer Etroite, à l’est sur le continent d’Essos, après avoir parcouru les Terres Disputées et avoir traversé Volantis, se trouve la terre des Dothraki.

Des noms aux sonorités exotiques qui dessinent la carte de l’immense monde imaginé par George R. R. Martin. Elle est imprimée au début de sa série de romans A Song of Ice and Fire et est animée dans le générique de leur adaptation télé, la série Game of Thrones produite par HBO, dont la septième et pénultième saison est diffusée à partir de dimanche 16 juillet.

Game of Thrones - Générique, Saison 1 Images : YOUTUBE

« George raconte que lorsqu’il était enfant, il avait une carte de la Terre du Milieu accrochée au mur de sa chambre », explique au Monde Linda Antonsson, qui a co-écrit avec George R. R. Martin A World of Ice and Fire, un livre sur l’univers de ces romans. « Le monde du Seigneur des Anneaux est un personnage en lui-même, Westeros aussi, c’est pour cela que l’on peut écrire dessus : ils sont suffisamment réels. »

C’est d’ailleurs l’une des missions que s’est données HBO : rendre ce monde concret et tangible. Pour promouvoir la première saison, la chaîne a par exemple fait envoyer des caisses de parfums supposés évoquer les senteurs de Westeros, comme celle d’une taverne ou de la ville de Pentos, à des blogueurs influents.

L’univers, le vrai enjeu de « Game of Thrones »

Car la star de Game of Thrones n’est ni Jon Snow, ni Daenerys Targaryen, ni même Tyrion Lannister. C’est Westeros. Et pour cause : ce monde peut survivre à ses personnages et donner lieu à de nombreuses autres histoires et produits culturels. Si à l’origine, Games of Thrones n’était qu’une simple série de romans inachevée, l’œuvre a ensuite donné lieu à une série télévisée, censée se terminer l’année prochaine à l’issue de sa huitième saison. En prévision, pas moins de cinq projets de spin-off – des séries dérivées – sont à l’étude, a annoncé George R.R. Martin, tout en restant très vague sur leur contenu.

Game of Thrones s’engage donc franchement dans le chemin de nombreuses œuvres étendues à l’infini par l’industrie américaine du divertissement, qui privilégie désormais les univers et plus seulement les histoires et les personnages. Star Wars, Harry Potter ou les univers de Marvel et DC en sont les parfaits exemples.

« Notre travail est celui d’un historien. Si quelqu’un veut s’inspirer des livres pour faire un jeu vidéo, il va lui falloir une source fiable. »

George R. R. Martin lui-même travaille sur de multiples livres liés à son univers : Winds of Winter, le sixième tome de sa saga ; Fire & Blood, une épopée historique sur l’une des familles de Westeros ; et Les Aventures de Dunk et de l’Œuf, une série de préquelles centrée sur l’un des personnages de l’univers – elles aussi adaptées en bandes dessinées. Qui sait dans quelle ville ou montagne le prochain opus aura lieu ?

L’auteur essaye tant bien que mal de garder le contrôle de sa création tentaculaire en s’assurant qu’un maximum d’œuvres inspirées suivent le canon – l’histoire « officielle ». De Suède, Linda Antonsson et son époux, Elio Garcia, l’aident du mieux qu’ils peuvent. Ces deux fans de la première heure connaissent tous les détails de la saga, mieux que George R. R. Martin lui-même. Ils ont créé le plus gros portail encyclopédique sur l’univers de Westeros.

« Ce que George écrit est le “canon”, explique Elio Garcia. C’est la seule chose qui nous intéresse. Notre travail est celui d’un historien. Si quelqu’un veut s’inspirer des livres pour faire un jeu vidéo, il va lui falloir une source fiable. Mais si quelqu’un veut s’inspirer de la série, il y a plein de sites sur Internet qui en parlent. »

La série a toutefois fini par prendre le pas sur les livres aux yeux du grand public, constate Javier Lozano, chercheur sur les narrations et esthétiques audiovisuelles à l’université Loyola Andalucía de Séville :

« Quand on pose une question sur un personnage, les gens mélangent le livre et la série parce qu’ils oublient la différence entre les deux. L’univers de Game of Thrones est tellement compliqué que l’on ne peut pas se souvenir de tout. A mesure que le temps passe, on oublie les livres, surtout que la suite ne sortira peut-être jamais ! »

« Imaginez qu’il ne finisse pas les livres »

Le dernier tome écrit par George R. R. Martin, A Dance with Dragons, a en effet été publié en 2011. La série a fini par rattraper les romans et doit, depuis la saison 6, inventer sa propre histoire.

« Ces dernières saisons jettent un trouble assez inédit sur les questions de canon, remarque Florent Favard, docteur en études cinématographiques et audiovisuelles à l’université de Bordeaux Montaigne. On a une œuvre qui a commencé comme une adaptation et propose maintenant son propre matériel. La situation est assez hybride. Cela m’étonnerait beaucoup que l’on se retrouve avec de grosses incohérences canoniques puisque George R. R. Martin a validé les deux dernières saisons, mais imaginez qu’il ne finisse pas les livres. La série deviendrait alors la seule source d’informations de l’histoire ! »

Toutefois, tient-il à préciser, « aujourd’hui, l’histoire est moins importante que l’exploration du monde. La chercheuse Marie-Laure Ryan parle de “cosmologie plurielle”. Le monde, le cosmos narratif est tellement étendu qu’il accepte plusieurs développements possibles, qui n’ont pas à être tous parfaitement cohérents les uns avec les autres. Le canon est plus flexible. »

L’important rôle des fans

Une ouverture dans laquelle s’engouffrent les fans, adeptes des univers alternatifs. Ils sont des milliers, sur Internet, à inventer des histoires liées à Game of Thrones, à dessiner des personnages, des scènes et des histoires plus ou moins proches du modèle original – qui lui-même diffère, selon qu’il s’agisse des livres ou de la série. Outre ces fanfictions et ces fanarts, leur créativité sans limite est aussi à l’origine de fansongs et de fanfilms.

The Wild Wolf - Game of Thrones Prequel Fan Film Images : YOUTUBE

La chaîne d’ailleurs mis en place plusieurs procédés pour encourager les fans en ce sens, comme un site où chacun pouvait créer la bannière de sa maison, ou encore un Tumblr appelé « Beautiful Death » sur lequel les fans envoient des dessins illustrant les nombreuses morts qui jalonnent la série. « HBO fait ce que Javier Lozano appelle du “fan advertising”, explique Mélanie Bourdaa, chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bordeaux Montaigne. C’est-à-dire qu’elle se repose sur la créativité des fans pour promouvoir Game of Thrones. »

Javier Lozano a étudié avec elle les fans français et espagnols de Game of Thrones. Il défend ardemment le rôle créatif des fans dans le « world building », la création de monde. « Les univers qui sont vraiment riches le sont grâce aux fans, défend le chercheur espagnol. Mais les fans ne le voient pas et donnent tout le crédit aux créateurs. »

Pour lui, l’auteur de A Song of Ice and Fire devrait les encourager à créer comme l’a toujours fait J. K. Rowling avec les fans de Harry Potter. Mais c’est tout le contraire : « George R. R. Martin n’aime pas que l’on fasse n’importe quoi avec ses personnages et ses histoires. Il s’est déjà exprimé sur le fait qu’il ne voulait pas de fanfictions. Mais il faut profiter de cet avantage, parce que ce sont les fans qui font vivre les univers pour toujours. »