La Grèce pourrait revenir sur les marchés cette semaine, une première depuis 2014. | YANNIS BEHRAKIS / REUTERS

Certains estiment qu’il est trop tôt. D’autres, que le calendrier est idéal. D’après plusieurs informations parues dans la presse hellène ce week-end, la Grèce devrait cette semaine – peut-être même dès lundi 17 juillet – émettre une obligation sur les marchés, où elle ne se finance plus depuis 2010.

A première vue, le pays n’a pourtant pas besoin d’un tel financement, puisqu’il bénéficie toujours du plan d’aide de 86 milliards d’euros accordé par ses partenaires européens en août 2015. Jusqu’en juillet 2018, la plus grande partie des besoins d’Athènes est donc couverte par les prêts à taux avantageux du Mécanisme européen de stabilité (MES).

  • Pourquoi maintenant ?

Parce qu’il faut bien préparer l’été 2018, lorsque Athènes devra de nouveau se financer seule sur les marchés. Pour ce elle doit tester auparavant les investisseurs. « Il est important pour le pays de développer une stratégie de retour », a ainsi déclaré Klaus Regling, le président du MES, le 10 juillet. Les autorités grecques et lui discutent du sujet depuis plusieurs semaines. Communiquer, préparer les esprits est, selon lui, la clé du succès.

Et à première vue le moment paraît idéal. D’abord, parce que l’Eurogroupe s’est mis d’accord, le 15 juin dernier, pour accorder une nouvelle tranche d’aide de 8,5 milliards d’euros au pays, qui vient d’adopter une nouvelle salve de réformes.

De plus, Athènes est sortie de la procédure de déficit excessif. Cette année, son déficit public devrait se limiter à 1,2 % du produit intérieur brut (PIB), selon Bruxelles. C’est « un autre signal positif de la stabilité financière et de la reprise économique dans le pays », s’est félicité le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis.

Enfin, la fenêtre de tir financière semble opportune : les coûts d’emprunt sont toujours historiquement bas. Mais cela pourrait ne pas durer, car la Banque centrale européenne (BCE) devrait, courant 2018, commencer à resserrer prudemment sa politique monétaire. Ce qui fera remonter les taux. Mieux vaut donc en profiter avant…

Cela signifie-t-il que la Grèce va mieux ?

Question de point de vue. A court terme, l’horizon conjoncturel hellène s’éclaircit enfin : après huit années de récession, la croissance devrait s’établit à 2,1 % en 2017, selon les prévisions de la Commission européenne.

Mais à moyen et long terme, les nuages restent nombreux. Le pays est essoré par des années d’austérité et de réformes. Le tissu industriel s’est évaporé et le secteur bancaire est très fragile. Surtout, deux questions cruciales restent en suspens.

La première est celle de la soutenabilité de la dette publique, qui dépasse les 180 % du PIB. Le Fonds monétaire international (FMI) lui-même en doute, et nombre d’économistes jugent qu’un nouvel allégement sera inévitable.

La seconde question, à laquelle les trois plans d’aide successifs n’ont pas permis de répondre, est celle du modèle économique de la Grèce. Quels seront, à l’avenir, les moteurs de l’activité ? Le tourisme est florissant, mais il ne peut pas suffire. Faut-il miser sur les services ? La réindustrialisation ?

« C’est la question à laquelle le gouvernement hellène va désormais pouvoir s’attaquer », explique au Monde Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE. Selon lui, l’accord de l’Eurogroupe « va permettre une stabilisation de l’économie et le retour des investissements. Si les incertitudes politiques et celles autour de l’application du plan d’aide se dissipent, je n’ai pas de doute que la Grèce sera en mesure de profiter d’une reprise cyclique forte qui lui permettra de se pencher enfin sur son modèle de croissance futur ».

Ce retour sur les marchés va-t-il bien se passer ?

Avant d’y répondre, il faut rappeler que la Grèce a déjà testé l’expérience. En 2014, année où le pays enregistra une timide croissance (0,4 %) avant de replonger en récession, le gouvernement avait émis une première obligation à cinq ans en avril, à un taux inférieur à 5 %. Puis une seconde à trois ans, qui arrive à échéance lundi 17 juillet – et qui avait remporté moins de succès (4,95 %). Selon le journal grec I Kathimerini, c’est cette seconde obligation que le gouvernement envisage de remplacer.

Une source européenne estime qu’il pourrait émettre une obligation à cinq ans à 4,5 %. Mais certains ne partagent guère cet optimisme. « C’est un peu tôt », a ainsi confié Yannis Stoutnaras, le gouverneur de la Banque de Grèce, dans une interview au Wall Street journal du 11 juillet. Selon lui, la priorité est autre. Et son pays devrait plutôt « procéder d’abord à deux ou trois privatisations emblématiques dans la période à venir ».

« Revenir si tôt sur les marchés serait une grosse erreur, estimait pour sa part Daniel Gros, directeur du CEPS, un think tank européen, dans une interview accordée à CNBC le 13 juillet. La Grèce devra payer une prime de risque, qui provoquera la remontée des coûts d’emprunt pour tout le secteur privé. »

Athènes va-t-elle suivre l’exemple de Lisbonne ?

C’est du moins ce qu’espère le MES. Son directeur, M. Regling, ne manque ainsi pas une occasion de rappeler que Chypre, l’Irlande et le Portugal, les autres pays passés sous assistance internationale, comme la Grèce, ont rejoint les marchés « bien avant la fin de leur programme » d’aide.

Le Portugal est ainsi sorti de la tutelle de la troïka (FMI, BCE, Commission européenne) en mai 2014, trois ans après y être entré. Mais il avait émis une première obligation à cinq ans en janvier 2013 (2,5 milliards d’euros empruntés au taux de 4,891 %), puis en janvier 2014 (3,25 milliards d’euros à 4,657 %). La seconde opération avait suscité un fort enthousiasme des investisseurs, dont la demande avait dépassé les 11 milliards d’euros. Dans la foulée, le Portugal avait remboursé plus vite que prévu les 78 milliards d’euros du plan d’aide.

Même si l’émission envisagée par la Grèce cette semaine se déroule bien, il est néanmoins difficile d’imaginer qu’Athènes suivra le même chemin que Lisbonne. Ne serait-ce que parce que son économie est structurellement plus faible. Si le Portugal a lui aussi souffert de l’austérité et de l’émigration, il disposait en effet d’une base exportatrice solide qui a porté la reprise économique. Et d’une administration publique fonctionnant correctement. Autant d’atouts dont ne dispose pas la Grèce…