George Romero, l’inventeur du film de zombies moderne, mort à l’âge de 77 ans, dimanche 16 juillet, a marqué de son empreinte l’imaginaire du jeu vidéo. De manière indirecte, en influençant certains de ses plus grands créateurs ; et de manière plus ambiguë, en y trouvant autant de raisons de rebondir au cinéma que de pester contre le vol de ses univers.

Un nom émerge spontanément : Resident Evil. Cette saga de jeux de zombies, lancée en 1996 par l’éditeur japonais Capcom, a été la première à faire ouvertement référence au maître du film de morts-vivants. Une influence revendiquée par son principal concepteur, Shinji Mikami, dans le magazine japonais The Playstation, en 1998 :

« Mon inspiration de départ était “Dawn of the Dead” [“La Nuit des morts-vivants”], le film de Romero de 1978. Je l’avais vu au collège, et il m’avait amené à me demander quel genre de zombies j’aimerais personnellement faire. Je m’étais dit que ce ne serait pas possible au cinéma, mais peut-être en jeu vidéo. Et quand nous avons commencé à réfléchir au premier “Resident Evil”, quelqu’un a dit : “Faisons un jeu d’horreur.” Je me creusais le cerveau pour avoir des idées, et soudain “Dawn of the Dead” m’est revenu. »

Morts-vivants progressant au ralenti, proies humaines piégées dans des recoins de pièces étroites, héros se démenant revolver et fusil à pompe à la main, comptant leurs munitions… Resident Evil emprunte ouvertement au plus célèbre film de George Romero.

Les zombies de « Resident Evil » ont revitalisé les œuvres de George Romero, à un moment où les morts-vivants étaient passés de mode. | Capcom

Le jeu de Shinji Mikami revitalise un genre tombé en désuétude depuis dix ans au cinéma, et qui paradoxalement, n’avait jamais fait florès en pixels jusqu’alors.

Un sous-genre longtemps mineur

Lorsque Zombie sort en salles en 1978, le jeune monde de la manette est déjà obnubilé par le cinéma, mais surtout celui des Dents de la mer, et de La Guerre des mondes, source d’inspiration de Space Invaders.

Les années 1980 sont étonnamment pauvres en jeux de morts-vivants : moins d’une vingtaine, selon le site Mobygames, dont la très grande majorité sont passés inaperçus. Au contraire des adaptations d’E.T., de Star Wars ou d’Alien, les univers zombiesques s’accommodent mal des restrictions techniques de l’époque, qui limitent le nombre de personnages animés à l’écran.

Les premiers jeux de zombies n’ont pas les moyens d’évoquer les univers de George Romero avec précision. Ici, « Zombies« , sur ZX81, et ses lettres « Z » pour désigner les morts-vivants. | Artic Computing Ltd

Dans Entombed, sur Atari 2600, en 1982, jamais plus d’un seul mangeur de cerveau ne surgit à la fois, laissant tout temps au joueur d’esquiver et s’enfuir. Pour traduire la multitude inhérente au genre, Zombies sur ZX81 recourt à une étonnante astuce : sur une carte uniquement composée de caractères d’imprimerie, les décérébrés sont représentés par la lettre Z.

Pendant ce temps, George Romero réalise le troisième épisode de sa saga, Le Jour des morts-vivants (Day of the Dead, 1985), qui génère 5 millions de dollars de chiffre d’affaires en salles aux Etats-Unis – dix fois moins que son prédécesseur. A cet exact moment, la série semble vouée à s’arrêter, et les zombies ne sont plus considérés que comme un sous-genre. Les quelques jeux qui s’en inspirent librement, comme Zombi, d’Ubisoft, restent des produits relativement de niche.

Capcom relance George Romero

Jusqu’au milieu des années 1990, le mort-vivant est ainsi un ennemi de second rang. Interrogé en 2014 par Le Monde, Shinji Mikami reconnaît même qu’en réalité, ils n’étaient pas son premier choix :

« On avait un prototype dans lequel le joueur affrontait des êtres surnaturels plus proches des spectres à la japonaise, c’était plus psychologique, à la “Paranormal Activity”. Mais on s’est rendu compte que cela ne marchait pas dans un jeu, qu’il fallait quelque chose de plus incarné, de plus palpable, pour qu’il puisse y avoir des combats, et on a opté pour des zombies. »

Grâce à son utilisation cinématographique audacieuse de la 3D, inspirée par le jeu français de 1992 Alone in the Dark, Resident Evil connaît un succès mondial : 2,75 millions d’unités vendues.

Les zombies de Resident Evil relancent du même coup la carrière de… George Romero, à qui l’équipe de Capcom pense pour réaliser la publicité japonaise de sa suite Resident Evil 2, en 1998. « Au début nous n’étions pas vraiment sérieux, nuance à l’époque Shinji Mikami, mais Romero était tellement enthousiaste que les choses se sont peu à peu concrétisées. »

Resident Evil 2 Commercial 2/2

L’hommage est apprécié du réalisateur, qui n’a plus signé de film de zombies depuis onze ans et Le Jour des morts-vivants. Le metteur en scène accepte.

Doublé par Paul W. Anderson

Avec 4,96 millions d’exemplaires, Resident Evil 2 devient le second plus grand succès historique de la compagnie derrière Street Fighter II. Porté par le succès de cette suite, l’éditeur japonais vend à Sony les droits d’adaptation du jeu vidéo en film.

George Romero est à nouveau le premier sollicité. « Cela donnait un sceau d’authenticité au film auprès des fans de films d’horreur. A l’époque, si vous parliez zombies, Romero venait immédiatement en tête. Le fait de l’avoir garantissait qu’un certain nombre de gens iraient voir le long-métrage », assure à Variety Rob Kuns, auteur du documentaire de 2013 Birth of the Living Dead.

Milla Jovovich se bat contre un zombie-dobermann, dans le film « Resident Evil » de Paul W. Anderson. | Sony Pictures

Le metteur en scène, qui n’est pas joueur, surprend par la fidélité de son scénario à l’univers créé par Shinji Mikami : en plus des inévitables zombies, il glisse des serpents géants, des requins mutants et une plante mangeuse d’hommes, comme on peut le découvrir dans le scénario, aujourd’hui en ligne.

Le script est toutefois jugé trop mou par Sony Pictures et Capcom, qui lui préfèrent celui de Paul W. Anderson, bien plus orienté action. Contre toute attente, le long-métrage récolte 100 millions de dollars pour un budget de 30 millions – un triomphe du niveau de Dawn of the Dead, qui vaudra à Paul W. Anderson de travailler sur quatre longs-métrages Resident Evil supplémentaires, comme réalisateur puis comme producteur.

Resident evil (VF)

Bataille juridique perdue

Pour George Romero, qui considère que l’œuvre de Capcom s’inspire un peu trop largement de ses films, c’est un camouflet. « Cela a eu pour seul effet de me frustrer, j’ai donc fui Hollywood », raconte-t-il dans un entretien croisé avec plusieurs sites de cinéphilie. Il signe en 2002 un nouveau film d’horreur, Bruiser, passé inaperçu.

Pourtant, le succès de Resident Evil au box-office ne fait pas qu’éclipser George Romero : il remet également le film de zombies au goût du jour. En 2004, Dawn of the Dead a droit à un remake, tandis que son réalisateur d’origine est rappelé à la barre de la saga. Il signe en 2005 George Romero’s Land of the Dead, qui dépasse les 45 millions de dollars de recettes, et replace le nom de Romero au centre du genre qu’il a tant porté.

En 2008, MKR, la société gérant les droits de Dawn of the Dead de George Romero, attaque même en justice Capcom pour son jeu de 2006 Dead Rising, qui se déroule dans un centre commercial et évoque le film. En vain. L’avocate américaine de Capcom, Jennifer Lloyd Kelly, obtient victoire : la cour fédérale juge « qu’il n’est pas possible de protéger [juridiquement] le concept global d’humains se battant avec des zombies dans un centre commercial pendant une invasion de morts-vivants ».

Dead Rising - 10th Anniversary Announce Trailer | PS4

La décision aura pour conséquence directe de permettre à Capcom de commercialiser un Dead Rising 2, et plus indirectement, permet au genre du jeu de zombie de fleurir, dans un contexte juridique soudain dégagé de la menace de procès.

Trajectoires croisées

Le réalisateur sort coup sur coup deux nouveaux opus de sa célèbre saga, George Romero’s Diary of the Dead (2008) et George Romero’s Survival of the Dead (2010). Mais avec 5,3 millions de dollars de recettes pour le premier et surtout 150 000 dollars pour le second, l’échec est retentissant. Cruelle situation que celle du maître du film de zombies, dont le regain de succès ne fut que de courte durée, alors que celle du jeu de zombies explose.

En 2009, Resident Evil 5 écrase tous les records de Capcom avec 7,2 millions d’unités vendues. Sa suite Resident Evil 6 fait à peine moins en 2012 avec 6,8 millions d’exemplaires écoulés. En parallèle, de nouvelles séries de jeux jaillissent et explosent, comme le jouissif Dead Rising (2006, Capcom également), le haletant Left 4 Dead, de Valve (2008), le savoureux mode zombie de Call of Duty : World at War (2009, Activision), l’humoristique Plants Vs Zombies (2009, Electronic Arts), l’émouvant Walking Dead (TellTale Games, 2012), le sombre The Last of Us (Sony, 2013) ou l’impitoyable DayZ (Bohemia Interactive, 2013). George Romero les observe avec une tendresse distante, relevant par exemple à propos de Left 4 Dead 2 que « ces zombies-là qui sautent, ce ne sont pas les miens. Mais peut-être y a-t-il plus besoin de vitesse en jeu vidéo ».

The Walking Dead Game Season 1 Trailer

L’implication de George Romero dans l’univers de la manette reste minime. On le sait avoir fait partie du jury d’une école de jeu vidéo. Les étudiants devaient notamment lui présenter un projet basé sur La Nuit des morts-vivants (1968). Le réalisateur devait en choisir un, pour qu’il se mue en prototype. Parmi les candidats, Neil Druckmann, qui lui présente une idée de jeu de survie dans lequel le héros doit guider un personnage secondaire affaibli. Le concept, laissé de côté par George Romero, donnera naissance quelques années plus tard à The Last of Us, considéré comme l’un des meilleurs jeux vidéo de l’année 2013.

Le 17 juillet 2017, George Romero a disparu sans jamais n’avoir signé aucun film adapté de jeu de zombie, ni supervisé aucun jeu du genre. Quelques-uns, toutefois, le mentionnent dans leurs crédits de fin, dans les remerciements spéciaux. Avec un message récurrent : « Merci pour l’inspiration. »

Les zombies de George Romero, des créatures politiques
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