34 bateaux étaient au départ de la première étape du Tour de France à la voile le 7 juillet à Dunkerque. | DENIS CHARLET / AFP

Pierre est assis depuis quelques heures sur la digue, son téléobjectif posé sur un pied. Il scrute l’horizon pour photographier les vingt-neuf concurrents du Tour de France à la voile, qui fait étape ces 13 et 14 juillet sur la plage de Jullouville, dans la Manche. « C’est la première fois que je viens voir cette course, explique ce septuagénaire d’Avranches. C’est un beau spectacle. Je n’ai jamais fait de voile mais c’est un réel plaisir de voir la course et de photographier ces bateaux. »

Ils sont nombreux à avoir été attirés par le spectacle et la fête que promettait une étape du Tour de France à la voile. Et c’est le pari qu’est peut-être en train de gagner Amaury Sport Organisation (ASO), l’organisateur de l’épreuve et… du Tour de France cycliste : faire entrer la voile dans l’ère du sport spectacle et susciter l’intérêt du grand public et des sponsors.

Reprise en main par ASO

Lorsque en 2012, le groupe rachète cette course par étapes qui se déroulait jusqu’alors loin des côtes et des vacanciers, bien peu y croyaient. Faute de visibilité, le « Tour » n’attirait plus les sponsors ni les marins les plus réputés.

A partir de là, les objectifs d’ASO sont clairs : consolider la relation avec les concurrents, renforcer la médiatisation, séduire le grand public et améliorer la lisibilité de l’épreuve. Cinq ans plus tard, alors qu’il fête sa quarantième d’édition, le Tour de France à la voile poursuit sa transformation et s’apprête à franchir une nouvelle étape en gardant le même cap : faire de la voile un sport populaire en plaçant le public au cœur du spectacle.

Après une période d’observation, en 2015, le Tour a fait sa révolution : un nouveau support – le Diam 24, un bateau léger et vivant capable de « faire le spectacle » – et un format sportif repensé pour être au plus près des côtes et des plages, avec des courses de moyenne distance et des parcours entre des bouées. Cette formule permet de rapprocher l’action sportive du public qui ne peut aller en mer.

Le retour des marins du Tour de France à la voile, sur la plage de Jullouville le 13 juillet 2017. | Morgan Bove/ASO

Les spectateurs peuvent assister aux régates « en stade nautique » depuis le bord de plage. « C’est sympa de voir les bateaux d’aussi près et puis il y a les commentaires. C’est bien. Cela aide à comprendre ce qui se passe sur l’eau », explique Christelle, en vacances à Jullouville.

Il ne suffit pas de rapprocher les bateaux de la plage, il faut rendre la voile plus compréhensible pour un public non averti. Une deuxième étape est donc franchie en 2016 avec de nouvelles règles de courses pour plus de suspens. Apparaît la « Super Finale », au départ de laquelle les compteurs sont remis à zéro et dont le vainqueur remporte la journée de course.

Diffusion à la télévision et sur les réseaux sociaux

« Nous avons dû adapter notre système au public, explique Christophe Gaumont, directeur de course désigné par la Fédération française de voile (FFV) pour assurer la bonne marche de l’épreuve. Par exemple, le comptage des points : normalement, le vainqueur en voile est celui qui en a le moins, ce qui n’est pas évident pour le public. Maintenant, le vainqueur est celui qui a le plus. »

Il y a eu d’autres concessions à la tradition : l’utilisation du pavillon noir pour signifier une disqualification pour faux départ et d’autres pavillons pour décompter les minutes plutôt que les signaux sonores officiels. Pour Christophe Gaumont, la nouvelle contrainte est surtout celle du temps. « Il faut penser la journée de régate en gérant les distances, les angles et le temps car il faut que l’arrivée ait lieu entre 15 h 30 et 16 h 30, à cause du direct. C’est compliqué. »

C’est certainement l’innovation la plus importante de 2016 : la retransmission vidéo en direct et sur les réseaux sociaux, pour vivre les arrivées de raid ou les super-finales. Les images sont diffusées le lendemain sur la chaîne L’Equipe (qui appartient au même groupe qu’ASO). La couverture télévisuelle a ainsi été multipliée par trois en cinq ans, passant de treize heures en 2012 à quarante heures en 2016.

« Nous avons beaucoup investi depuis cinq ans. Si nous voulons amorcer un cercle vertueux et faire grandir le Tour, nous avons besoin d’un partenaire-titre. », Jean-Baptiste Durier, directeur de la course

Cette année, ASO inaugure une zone réservée aux spectateurs au cœur du village de la course. Un point course y est organisé toutes les demi-heures, en liaison vidéo avec un commentateur embarqué sur un bateau évoluant au milieu de la flotte.

Marie-Thérèse est ravie. La trésorière de l’antenne granvillaise du Secours populaire, accompagne ce jour-là cent vingt enfants venus voir le Tour : « Les enfants sont accueillis, un artiste a fait leur portrait, ils ont pu faire du toboggan ». ASO reprend en effet la formule de la caravane du Tour cycliste, avec animations, stands mais aussi jeux destinés au public. De quoi faire du Tour voile une fête populaire.

Cette année, pour la première étape à Dunkerque du 7 au 9 juillet, le village a accueilli environ trente milles personnes. Mais les organisateurs veulent aller encore plus loin. « ASO et le Tour sont à un carrefour stratégique, indique Jean-Baptiste Durier, directeur de l’épreuve. Pour continuer notre développement et entamer une deuxième phase, nous avons besoin de ressources supplémentaires. »

La remise des prix de la troisième étape du Tour de France à la voile 2017, à Jullouville le 14 juillet. | Morgan Bove/ASO

La solution envisagée est d’avoir recours au naming de l’épreuve, et donc d’y associer un partenaire, une pratique courante dans le milieu de la voile. « Nous avons beaucoup investi depuis cinq ans, continue Jean-Baptiste Durier. Maintenant, si nous voulons amorcer un cercle vertueux et faire grandir le Tour, nous avons besoin d’un partenaire-titre. » Cette nouvelle stratégie pourrait aboutir pour l’édition 2018.

Ces évolutions ne dénaturent-elles pas le sport ? L’engouement pour cette quarantième édition tendrait à prouver le contraire. Avec vingt-neufs équipages engagés, le Tour de la France à la voile bat son record de participation depuis l’apparition du Diam 24, et même depuis 2007. Alors que Quentin Delapierre, Matthieu Salomon et leur team Lorina Limonade-Golfe du Morbihan remettent leur titre en jeu, une dizaine d’équipages jouent les premiers rôles de cette édition qui s’achèvera le 30 juillet à Nice.