Manifestation pour l’indépendance de la justice, à Varsovie, le 16 juillet. | AGENCJA GAZETA / REUTERS

Plusieurs milliers de personnes ont manifesté, dimanche 16 juillet à Varsovie et dans plusieurs villes de Pologne, contre une série de lois controversées sur le système judiciaire, votées par la majorité ultraconservatrice du parti Droit et justice (PiS). Les manifestants se sont réunis devant le siège du Parlement, avant de marcher vers le palais présidentiel et le siège de la Cour suprême, pour former une « chaîne de lumière », allumant des milliers de bougies à la nuit tombante. Ils ont défilé en dénonçant « le dictateur », Jaroslaw Kaczynski, le président du PiS, qui exerce son emprise sur le gouvernement sans en être membre.

Les manifestants ont appelé le président, Andrzej Duda, à user de son droit de veto envers les réformes votées par la majorité, mercredi 12 à la Diète et samedi 15 juillet au Sénat. Issu du PiS, M. Duda ne s’est guère opposé aux décisions du gouvernement, et est à l’origine du premier grand conflit avec la justice quand il avait refusé, fin 2015, de confirmer la nomination au Tribunal constitutionnel de trois juges choisis par le gouvernement libéral précédent.

La prise de contrôle du Tribunal constitutionnel, la plus haute instance juridique du pays, par la majorité du PiS, avait provoqué l’enclenchement d’une procédure inédite de « sauvegarde de l’Etat de droit » par la Commission européenne, en janvier 2016. La nouvelle offensive du gouvernement contre la justice devrait être examinée à Bruxelles mercredi 19 juillet, la Commission étant restée plutôt évasive ces derniers jours.

Retraite forcée

Les rappels à l’ordre européens ont jusqu’à présent peu impressionné le gouvernement polonais, qui a poursuivi son travail de sape. C’est la question du pouvoir de nommer les juges qui est au centre de la reprise en main de la justice. Selon la nouvelle loi votée au Parlement, le ministre de la justice peut démettre de leurs fonctions et nommer tous les présidents de tribunaux du pays, toutes instances confondues, sans mécanisme de contrôle. Les présidents de tribunaux sont notamment chargés de répartir le travail entre les juges de leur ressort, notamment en ce qui concerne les affaires les plus sensibles.

La majorité PIS poursuit également la refonte des instances supérieures de la justice : les députés ont adopté une loi sur le statut du Conseil national de la magistrature, qui prévoit de mettre fin au mandat de tous ses membres, et la nomination de leurs remplaçants par le Parlement à la majorité simple. Le Conseil national de la magistrature a une influence importante sur le processus de nomination des juges et fait figure d’instance morale.

Le gouvernement ne s’arrête pas là. Une loi en préparation, qui doit être présentée mardi au Parlement, prévoit un profond bouleversement de la Cour suprême, l’équivalent de la Cour de cassation. Le projet oblige à l’envoi d’office « en état de repos » – en retraite forcée – de tous ses juges. Le ministre de la justice pourra aussi indiquer quels juges pourraient être épargnés par ce renvoi, acquérant ainsi une prérogative de nomination à la Cour, qui a notamment pour mission de confirmer la validité de toutes les élections (nationales, locales, européennes) et la validation des comptes de campagne des partis.

« Magistrats obéissants »

L’inquiétude est générale dans les milieux judiciaires. Marek Safjan, ancien président du Tribunal constitutionnel, et membre de la Cour de justice de l’Union européenne, dénonce un « attentat contre la Constitution ». « Cet ensemble de lois est de fait un changement radical de la constitution polonaise qui ne dit pas son nom, explique-t-il au Monde. Si ces lois venaient à être signées par le président de la République, elles mettraient fin à l’Etat de droit en Pologne. » Un avis partagé par Waldemar Zurek, porte-parole du Conseil national de la magistrature : « Ces lois marquent la politisation absolue et l’appropriation par un parti politique de tous les tribunaux du pays, toutes instances confondues. Ces lois sont inconstitutionnelles et marquent une rupture avec les valeurs fondamentales de l’UE et la culture du droit en Europe. »

« Le pouvoir discrétionnaire du ministre de la justice quant à la nomination des présidents de tribunaux donne au gouvernement un instrument pour empiéter de manière permanente sur l’indépendance judiciaire, en créant un corps de magistrats politiquement obéissants », dénoncent aussi cinq anciens présidents du Tribunal constitutionnel.

Le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, a balayé les critiques en dénonçant le corporatisme des juges : « Le système judiciaire polonais était une corporation, qui s’est coupée de la démocratie. » « Ce n’est pas la question de savoir si je gagne davantage de pouvoirs, mais de mettre en place des outils de véritable contrôle, a-t-il poursuivi. Actuellement, le ministre de la justice a la responsabilité du fonctionnement du système judiciaire, mais ne peut pas l’influencer. » Cette justification sonne comme un aveu des intentions du pouvoir polonais.