Le PDG de Renault Carlos Ghosn, devant la Kwid, modèle lancé en 2015 en Inde. | STRINGER/INDIA / REUTERS

C’est une nouvelle belle performance pour l’industrie automobile française. Jamais Renault n’avait, dans son histoire, vendu autant de voitures au cours d’un semestre : 1,88 million de véhicules fabriqués par le groupe français ont été écoulés depuis le début de cette année, en hausse de 10,4 % par rapport à la même période de 2016.

« Nous sommes en progression sur tous nos marchés », se réjouit Thierry Koskas, directeur commercial monde du groupe. Si l’entreprise est dans le vert partout et pour toutes ses marques (Renault, Dacia en Europe, Lada en Russie et Renault-Samsung en Corée du Sud), la croissance est particulièrement spectaculaire dans le monde émergent : + 19 % dans la zone Afrique Moyen-Orient et Inde, + 15 % en Amérique du Sud et centrale, + 50 % en Asie.

Ce sont les marchés de la mondialisation qui poussent la croissance de la firme au losange puisque la vieille Europe, où Renault vend désormais plus de 1 million de véhicules par semestre, n’a contribué à l’expansion « que » de 5,6 % lorsque le reste du monde croît de 16,8 % pour atteindre 854 000 ventes.

Même les deux pays à la traîne de la croissance qu’étaient la Russie et le Brésil ces dernières années renouent avec des variations positives, respectivement de 6,9 et 4,2 %. Finalement, seul le marché historique – la France – paraît un peu poussif avec sa hausse de 1,8 %, inférieure à la moyenne du marché (+ 3,5 % au premier semestre).

Innover pour réduire les coûts

« Renault est en train de réussir son opération de sortie d’Europe, constate Bernard Jullien, maître de conférence à l’université de Bordeaux, spécialisé en stratégie industrielle. Il est d’ailleurs de plus en plus difficile de comparer PSA à Renault. L’un est encore totalement tributaire des croissances française et européenne et cela ne va pas s’arranger avec l’acquisition d’Opel. L’autre est dorénavant en mesure de compenser le retournement d’un marché par l’embellie d’un autre. »

Cette prouesse vient de loin. Elle est le fruit d’une stratégie initiée à l’orée du XXIe siècle par Louis Schweitzer, alors patron de Renault, et amplifiée par Carlos Ghosn à partir de 2005. L’idée ? Accompagner le développement de la classe moyenne dans les pays émergents, dont les revenus – certes en hausse – sont encore loin d’égaler ceux des pays développés.

Il va donc s’agir d’innover à l’envers, non pas en ajoutant des technologies nouvelles et coûteuses mais en adaptant les coûts de fabrication à la clientèle locale par une « démarche d’ingénierie frugale », pour reprendre une expression prisée par M. Ghosn. Ce sera le programme Logan en 2004, qui continue treize ans après de faire un tabac, par exemple en Iran où les ventes ont doublé au premier semestre. Ce sera le programme Duster en 2009, ce 4 x 4 low cost, désormais deuxième voiture la plus vendue par Renault, après la Clio. Ou encore la Kwid, du nom de cette petite voiture, lancée en Inde il y a deux ans avec un beau succès et dont le prix de vente commence à 3 500 euros.

La « diplomatie Ghosn »

« La clé du succès est de bien comprendre le marché local, explique M. Koskas. Ce n’est pas un travail qui se fait depuis Paris. Chaque région a la responsabilité de développer ses produits et de les adapter. C’est souvent un travail fin et de détail mais qui paie. Et qui passe aussi par une localisation sur place de la production. » « La réussite de Renault doit aussi beaucoup à la diplomatie Ghosn, abonde M. Jullien. Il y a une dimension politique dans ces succès, liés à la capacité à se présenter aux gouvernements locaux comme un bon partenaire pour le développement industriel du pays. »

Prochaine étape : le lancement au mois d’août de la Renault Kwid en Amérique latine. Avec, là encore, une adaptation aux contraintes régionales. La gamme de prix du véhicule assemblé au Brésil (elle est proposée à partir de 8 500 euros) sera plus élevée qu’en Inde. D’abord parce que les normes de sécurité des véhicules y sont plus sévères et parce que les coûts liés à la main-d’œuvre sont plus élevés outre-Atlantique. « Productivité et protection des salariés ne sont pas du tout du même niveau en Asie et en Amérique latine, explique M. Jullien. Tous les pays émergents ne sont pas des pays à bas coût. C’est caricaturer la stratégie de Renault que de dire qu’elle ne se préoccupe que de surfer sur les bas salaires. »

Le sujet reste malgré tout stratégique. Exemple toujours avec la Kwid brésilienne : Gérard Detourbet, le « Monsieur Programmes low cost mondialisés » de Renault, a imposé le fait que 40 % des pièces continueront à être produites en Inde. Le différentiel de salaire entre Curitiba et Madras accroît la rentabilité du programme, malgré les droits de douane et les coûts logistiques.