Tomasz Piatek,journaliste pour la « Gazeta Wyborcza », au tribunal de Varsovie, le 21 juin. | Vanessa Gera / AP

Après avoir repris en main les médias publics dès son arrivée au pouvoir, en novembre 2015, le gouvernement ultraconservateur polonais accroît sa pression sur les médias privés et sur les journalistes. Le ministre de la défense, Antoni Macierewicz, a déposé une plainte devant le bureau militaire du parquet général de Varsovie contre le journaliste d’investigation Tomasz Piatek, du quotidien de centre gauche Gazeta Wyborcza.

En cause : un livre publié par le journaliste (« Macierewicz et ses secrets »), fruit de dix-huit mois d’enquête, qui met en lumière les liens entre le ministre de la défense avec des personnes liées aux intérêts russes et aux services de renseignement moscovites.

Fait notable, le ministre ne porte pas plainte pour diffamation, mais pour « recours à la force ou à la menace contre un fonctionnaire », « insulte ou humiliation d’un organe constitutionnel » et « attaque illégale à l’encontre d’un représentant public ». En vertu du code pénal polonais, le journaliste encourt jusqu’à trois années de prison.

« Dénonciateur bolchevique »

« Il y a encore deux ans, il aurait été inimaginable qu’un journaliste puisse être traduit devant un tribunal militaire, confie Tomasz Piatek au Monde. Je me sens menacé, mais, au-delà de ma personne, il s’agit de faire peur à toute la profession. En présentant ce genre d’accusations absurdes, le ministre de la défense me donne raison, car à aucun moment il n’est question de plainte pour diffamation ou pour des mensonges supposés. »

Le journaliste a également fait l’objet de violentes attaques de la part de la télévision publique et des médias proches du parti au pouvoir, le PiS (Droit et justice). Il a notamment été qualifié de ­ « dénonciateur bolchevique », et attaqué pour son engagement en faveur des droits des minorités sexuelles, ou encore pour son addiction passée aux stupéfiants et à l’alcool.

Dans une lettre ouverte à Antoni Macierewicz, Reporters sans frontières (RSF) et d’autres ONG l’appellent à renoncer immédiatement aux poursuites pénales engagées contre Tomasz Piatek. « Le fait de traduire un journaliste devant une juridiction militaire et de le menacer d’une peine de prison constitue une forme d’intimidation et porte gravement atteinte à la liberté de la presse et de tous ceux qui émettent des critiques à l’égard des autorités, affirme Pauline Adès-Mével, responsable du bureau Union européenne de RSF. Nous appelons les institutions européennes à condamner sans détour ces poursuites. »

M. Macierewicz ne s’est pas encore expliqué en détail sur les accusations à son encontre ou envers ses proches contenues dans le livre de Tomasz Piatek. Le secrétaire d’Etat à la défense, Michal Dworczyk, a qualifié l’ensemble de ces publications de « tissu de mensonges et de calomnies ».

Le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, de son côté, a récemment dévoilé les liens entre le vice-ministre de la défense, Bartosz Kownacki, et le parti Zmiana (« changement »), financé par le Kremlin. Le quotidien révèle notamment que M. Kownacki a été, en 2012, à l’invitation d’une organisation pro-Kremlin, observateur international durant l’élection présidentielle en Russie. « La situation est si absurde qu’il est difficile de la commenter, s’est défendu M. Kownacki à la télévision publique. J’ai été observateur en Russie lors des élections en 2012. Les organisations qui m’y ont envoyé étaient légales. »

« La pire des manières »

La télévision publique polonaise a également attaqué, le 14 juillet, la correspondante à Bruxelles de la télévision Polsat, Dorota Bawolek. Dans une question à un porte-parole de la Commission européenne, la journaliste s’étonnait que celui-ci refuse de commenter la réforme controversée du système judiciaire polonais, unanimement décriée par les juristes comme une atteinte au principe de séparation des pouvoirs.

« Les médias privés, depuis le début des gouvernements du parti Droit et justice, font beaucoup pour parler des changements en Pologne de la pire des manières, surtout à l’étranger », a commenté le présentateur de la chaîne d’information en continu TVP Info, avant de diffuser à l’antenne l’intervention de la journaliste.

Cette dernière a essuyé par la suite un torrent de menaces sur les réseaux sociaux, dont de nombreuses menaces de mort. La journaliste a été accusée de « trahison », d’« attaque envers la Pologne » et de travailler « sur commande politique ». Ces attaques sont récurrentes vis-à-vis des journalistes polonais qui critiquent la politique du gouvernement ultraconservateur. Certaines d’entre elles ont été relayées par des cadres de la majorité du PiS.