La réponse du président Macron à la question d’un journaliste ivoirien lors du sommet du G20 (« Comment le G20 va-t-il sauver l’Afrique ? »), soulignant que le taux de fécondité élevée en Afrique subsaharienne constituait un obstacle majeur au développement durable de ces pays, a suscité une avalanche de critiques sur les réseaux sociaux. Aux yeux de certains, elle serait la marque d’une vision condescendante, voire néocolonialiste et raciste, des réalités africaines.

Pourtant, les travaux scientifiques convergent de façon indiscutable pour estimer que l’Afrique n’a connu pour l’heure « qu’une transition démographique tardive et limitée »*. Les spécialistes du sujet, comme Serge Michaïlof ou Michel Garenne, n’hésitent pas à parler de « bombe démographique » pour s’alarmer de la situation au Sahel. Certes, l’Afrique n’est pas une et homogène : l’épidémie du VIH a annulé les gains d’espérance de vie à la naissance obtenus après les indépendances en Afrique australe et il existe bien une sous-fécondité relative en Afrique centrale.

Tragédies humanitaires

Mais c’est bien la pression démographique qui explique qu’en dépit de phases significatives de croissance, le PIB par tête stagne en Afrique subsaharienne depuis les années 1960, alors que, dans le même temps, il est passé de 3 000 à 8 000 dollars (en dollars constants 2005) à l’échelle du monde. C’est elle qui fait que le sous-continent concentre 34 des 48 pays qualifiés de « moins avancés » par les Nations unies du fait d’un revenu par tête inférieur à 1 035 dollars en 2016.

Le Niger, classé au dernier rang de l’indice du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui comptait 3,4 millions d’habitants à l’indépendance en 1960, atteint en 2015 pratiquement 20 millions d’habitants. La projection actuelle est de 72 millions d’habitants pour 2050. Le président Macron n’a fait que rappeler cette évidence que la conjonction de cette explosion démographique avec les conséquences irréversibles du réchauffement climatique et l’épuisement des terres arables pourrait provoquer des tragédies humanitaires sans précédent, auxquels l’aide internationale serait difficilement en mesure de répondre, et des mouvements massifs de population qui affecteront en premier lieu les pays africains eux-mêmes.

N’en déplaise aux nostalgiques du néomarxisme à la Samir Amin qui, dans les années 1970, dénonçaient le « sous-peuplement » de l’Afrique et le « malthusianisme » de toute forme de contrôle des naissances, comme aux idéologues néoconservateurs qui se réjouissent de la suspension unilatérale par l’administration Trump de l’ensemble des programmes internationaux de planning familial soutenus par les Etats-Unis, replacer la question démographique au cœur de l’agenda universel des Objectifs du développement durable (ODD), adopté par l’ONU en septembre 2015, doit constituer une priorité.

Choisir le nombre d’enfants

Sur le plan international, la recherche pour le développement a démontré l’importance du « dividende démographique » comme condition sine qua non de la sortie de la pauvreté pour des centaines de millions de personnes. L’absence ou la faiblesse, dans de nombreux pays africains, de la transition démographique vers une pyramide des âges augmentant la proportion des jeunes adultes productifs par rapport à celle des jeunes enfants et des personnes âgées, les empêche de tirer les dividendes d’une croissance forte et durable.

Les investissements induits, en particulier dans les secteurs sociaux (éducation et santé), dépassent largement les capacités financières internes et même externes disponibles, dans des temps incompressibles (construction de maternités, de classes d’écoles, formation des personnels médicaux et des maîtres). C’est d’ailleurs le même souci de préserver et de renforcer ce « dividende », menacé par la mortalité prématurée due aux grandes pandémies infectieuses, qui justifie, du point de vue éthique mais aussi d’efficacité macroéconomique, l’accès aux médicaments essentiels et à une couverture maladie universelle qui figurent désormais parmi les cibles des ODD.

Contrairement à la caricature faite des propos d’Emmanuel Macron, il ne s’agit pas de forcer les familles africaines à avoir moins d’enfants, mais bien de leur donner la possibilité de choisir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent (130 millions de femmes africaines ne disposent aujourd’hui d’aucun moyen moderne de contraception), dans des conditions qui ne mettent pas en danger la vie des mères (une femme africaine risque deux cent fois plus de mourir en couches qu’une femme occidentale) et de leur permettre de soigner et d’éduquer leurs enfants dans des conditions décentes. Les déclarations du président Macron suggèrent que la France devrait être à l’initiative d’un véritable programme international d’action associant les pays partenaires et leurs bailleurs de fonds en lien avec les ODD. Il lui appartient désormais de traduire ses justes convictions en la matière dans notre politique d’aide publique au développement.

* L’Afrique face à ses défis démographiques. Un avenir incertain, de Benoît Ferry (direction), coédition AFD – CEPED, Karthala, Paris, 2007.

Jean-Paul Moatti, président-directeur-général de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Jean-Marc Châtaigner, directeur général délégué de l’IRD.