Guillaume Rambourg veut soutenir la scène e-sport en France, et faire de « League of Legends » « une discipline pour supporteurs et pas que pour spectateurs ». | W.A.

Guillaume Rambourg est directeur de Riot Games France, la structure qui s’est ouverte au printemps, à Paris, pour prendre en charge le développement du jeu vidéo le plus regardé et pratiqué au monde depuis huit ans, le titre compétitif League of Legends.

Quels sont les objectifs de l’ouverture d’un bureau français ?

Nous en avons quatre. Le premier est de faire plus et mieux pour les joueurs français. Historiquement on s’en occupait depuis un bureau paneuropéen, à Dublin. L’idée est de se rapprocher de la communauté, des organisateurs de tournois, soutenir les cosplayeurs et tous ceux qui diffusent du League of Legends sur YouTube et Twitch, et présenter Riot aux médias.

Le deuxième objectif est de trouver de nouveaux joueurs. On veut faire de League of Legends un sport qui dure des décennies. Il faut que l’on fasse tout un travail d’explication et de storytelling pour rendre le titre plus simple auprès des profanes, et faire de la place à quiconque veut jouer.

Cela m’amène au troisième objectif : développer l’e-sport. C’est un peu la mayonnaise qui réunit les joueurs d’aujourd’hui et de demain, quel que soit leur niveau, compétitif, professionnel, ou juste social – ceux qui cherchent du fun.

Le quatrième objectif, c’est le « s » de Riot Games : on aura des jeux qui vont sortir, et l’idée est qu’au moment de leur sortie, la [communauté de joueurs] Riot soit plus large, qu’on ait les partenaires et la capacité de les accueillir correctement.

A quel horizon se situe ce quatrième objectif ?

Nous n’avons pas de date, mais je peux expliciter comment nous fonctionnons. Nous développons régulièrement des prototypes dans plein de types de jeux différents, et un peu à la manière d’une pépite d’or, on agite le tamis et on regarde ce qu’il reste de bien.

Nous avons plusieurs projets plus avancés que d’autres qui seront probablement nos prochains jeux. On me demande souvent s’ils seront mobiles, e-sports, etc. Nous ne réfléchissons pas par le prisme du business mais par l’expérience de jeu. Si tel jeu s’adapte plus aux consoles, il sera console. S’il s’adapte plus au mobile, il sera mobile.

Vous voulez devenir un « sport sur plusieurs décennies ». Vous ne craignez pas de vous heurter à un plafond de verre ?

Si, bien sûr. Cela s’applique à tout le monde, de Facebook à nous. D’autant que nous avons un jeu simple à jouer mais qui nécessite beaucoup d’heures de jeu et d’implication pour en apprécier la profondeur.

Pour nous, il va donc falloir tout simplement que l’on explique à nos nouveaux joueurs comment bien profiter de l’expérience League of Legends et comment s’y mettre. C’est un effort que l’on n’a jamais fait auparavant. Jusqu’à présent, le jeu s’adressait plutôt à ce que l’on appelle des hardcore gamers [des joueurs intensifs et expérimentés]. Cela ne veut pas dire qu’il y a des milliards de joueurs à conquérir, mais il y en a.

Combien de joueurs visez-vous en France ?

Nous avons actuellement plusieurs centaines de milliers de joueurs actifs par mois en France, et nous sommes plus proches du million que des cinq cent mille. Est-ce que demain on va doubler ou tripler ce chiffre ? Cela me paraît très ambitieux.

De manière réaliste, je pense que nous sommes déjà le jeu qui compte le plus de joueurs actifs en France. On cherche à faire mieux. L’idée de toute façon, c’est aussi d’avoir différents titres, de continuer à innover, casser certains codes et rafraîchir certains styles de jeu.

Vous parliez de « storytelling », pourriez-vous développer ?

Il faut savoir que League of Legends existe depuis huit ans ; qu’en moyenne un joueur y joue plusieurs dizaines d’heures par mois, sans compter le temps à suivre des matchs. Nous avons un joueur, Hans sama, un jeune français qui joue déjà de manière compétitive au niveau européen à League of Legends. Il s’est fait tout seul, ses parents sont immigrés, c’est une belle histoire de l’e-sport français.

Il y a plein d’histoires de gens qui ont rencontré leur partenaire, ont réussi une carrière, ou tout simplement se sont fait des amis dans le jeu. Ce sont plein d’histoires à raconter. On l’a déjà fait sur la scène américaine, on veut le faire pour la France.

Y a-t-il des spécificités de l’e-sport en France ?

Oui. Il est connu pour être très passionné, très latin, très fou. Quand on a accueilli des événements internationaux en France, même nos collègues coréens et américains étaient surpris de l’ambiance dans les stades français. Les joueurs chantaient La Marseillaise, portaient maillot et écharpe des équipes, certains amenaient même des baguettes !

C’est un public assez fou et passionné, et j’ai vraiment envie qu’on fasse de l’e-sport une discipline pour supporteurs et pas que pour spectateurs. Que les gens soient impliqués émotionnellement, qu’on trouve une vraie caisse de résonance, que les fans aient une vraie attache avec les clubs. Si on veut pérenniser l’e-sport pour des décennies, le tissu émotionnel c’est ce qui fait la différence, à l’image du football.

Justement, le football possède son championnat de France. Un équivalent est-il prévu pour la France ?

Ce que l’on fait historiquement c’est une compétition sous forme de coupe de France, de type amateur, tant du point de vue du niveau que des moyens à disposition. On veut désormais se rapprocher des standards de l’ECS [European Championship Series, principale compétition européenne de League of Legends], notre Champion’s League à nous, que ce soit en matière de qualité de jeu, de niveau des équipes, de pérennité de l’écosystème, de fiabilité financière pour les clubs et de show.

Le format n’est pas encore arrêté, cela peut être une coupe de France améliorée, comme un championnat ou un circuit ATP. On réfléchit, mais l’ambition est clairement de franchir un gros palier et d’avoir une compétition League of Legends très visible en France.

Les jeux en ligne qui ont connu du succès sur la durée, comme World of Warcraft, ce qui leur a manqué pour durer encore plus longtemps qu’ils ne l’ont fait, c’est l’e-sport, selon vous ?

C’est vrai qu’à partir du moment où un joueur a un jeu qui lui plaît et qu’il peut constamment s’améliorer et rencontrer des gens, c’est une attache émotionnelle supplémentaire. L’e-sport, cela permet de faire durer League of Legends dans le temps. C’est ce qui manquait aux autres jeux.

Toutefois, ce n’est pas à un éditeur de définir si son titre sera e-sport ou non. Ce qu’on peut faire, c’est développer un jeu qui soit fun en multijoueur. Après, si les joueurs estiment qu’il a suffisamment de profondeur stratégique et tactique pour en faire un jeu compétitif, à nous ensuite de les soutenir.

Au début, League of Legends n’était pas du tout un jeu e-sport, juste un titre multijoueur qui plaisait beaucoup. Les joueurs étaient demandeurs de tournois. On a donc créé cet écosystème. Mais dans un premier temps, il faut d’abord que le jeu soit fun. Le reste, c’est aux joueurs de décider.