Le 5 juillet, AlphaBay, le supermarché de la drogue et du trafic d’armes en ligne, disparaît du « dark Web ». Le site contenait des milliers d’offres pour se procurer de la drogue, des armes, des données de cartes de crédit et autre contrebande illégale, accessibles uniquement aux utilisateurs connaissant l’adresse du site et utilisant le navigateur anonyme TOR.

AlphaBay n’est plus accessible depuis le 5 juillet. | Capture d'écran

La mise hors ligne du site pousse internautes et médias à imaginer plusieurs scénarios mais pour le moment, seuls quelques faits sont certains.

Au moment où le site devient inaccessible sur le dark Web, à Trois-Rivières au Québec, les autorités procèdent à des perquisitions, à la recherche de matériel informatique, a déclaré la police canadienne au Wall Street Journal et au média local TVA Nouvelles. Au même moment, un ressortissant canadien originaire de cette même ville, Alexandre Cazes, est arrêté en Thaïlande et est envoyé en prison.

Quelques jours plus tard, Alexandre Cazes est retrouvé mort dans sa cellule : « Tous les indices poussent à croire qu’il s’agit d’un suicide », explique la police des narcotiques thaïlandaise au Bangkok Post, une information également transmise à l’agence France-Presse (AFP) par une source policière. « Il avait rendez-vous une heure plus tard avec un procureur américain pour être extradé vers les Etats-Unis. »

Les théories sont nombreuses

Nicolas Christin, professeur associé en sciences de l’informatique à l’université Carnegie Mellon de Pennsylvanie et spécialiste du dark Web, interrogé par Le Monde, invite à la précaution : « Pour l’instant, il n’y a aucune certitude que tous ces éléments soient liés. La conclusion la plus probable est que M. Cazes était l’un des administrateurs d’AlphaBay. Il avait manifestement un train de vie sans commune mesure avec ses occupations professionnelles. » Ses trois maisons et ses quatre voitures, dont une Lamborghini selon l’AFP, ont été confisquées par les autorités thaïlandaises. Quant à son épouse, elle a été accusée de blanchiment d’argent, toujours selon le Bangkok Post.

Isak Landegaard, chercheur spécialiste du marché noir et des monnaies virtuelles au Morissey College of Art and Science de Boston, s’étonne de son côté du manque de déclarations du côté des autorités : « Lorsqu’elles avaient fermé Silk Road, le site dont AlphaBay est l’héritier, elles avaient très vite promu leur opération. Lorsque l’on se connectait à l’adresse de Silk Road, il y avait un message laissé par le FBI. » Pour lui, il y a deux possibilités très simples : soit les autorités n’ont pas fermé AlphaBay, soit leur stratégie a changé et elles préfèrent garder le silence afin de poursuivre leur enquête. « Lorsqu’un site est démantelé par les forces de l’ordre, il y a une aura d’inquiétude qui se propage, ajoute le chercheur. Les utilisateurs se demandent comment les forces de l’ordre ont pu toucher des sites à la sécurité aussi solide. »

La théorie la plus répandue, jusqu’à ce que le Wall Street Journal révèle l’opération de la police canadienne, était celle de l’« exit scam », c’est-à-dire que le site aurait mis la clé sous la porte et les administrateurs seraient partis avec l’argent des clients. L’équivalent de millions d’euros en bitcoins, une monnaie numérique, ont en effet disparu des portefeuilles de clients d’AlphaBay. Le dark Web est après tout un habitué des disparitions surprises : en 2015, la plateforme Evolution disparaissait ainsi sans prévenir, ses administrateurs dérobant l’équivalent d’un million d’euros.

Ce scénario laisse toutefois Nicolas Christin circonspect :

« Si ces arrestations sont avérées, il y a relativement peu de chances que ce soit un exit scam. Encore qu’il n’est pas impossible que certains administrateurs aient encore accès à des portefeuilles en ligne d’utilisateurs. S’ils sont en liberté, évidemment, la tentation serait grande de vider ces portefeuilles et de disparaître au plus vite. »

Pour le moment, néanmoins, aucun élément ne permet de l’affirmer. 

Un marché toujours aussi actif

Cette affaire ne devrait en tout cas pas vraiment affecter les affaires sur le dark Web. AlphaBay ou non, on y trouve toujours de tout – notamment ce qui est illégal. « La fermeture d’AlphaBay pourrait ralentir le trafic pendant quelque temps, mais il n’y a aucun doute qu’il reprendra comme avant – peut-être même va-t-il augmenter, complète Isak Ladegaard. Ce genre d’affaire attire beaucoup d’attention sur le dark Web, ce qu’il propose et comment y accéder. Cela entraîne l’arrivée de nouveaux utilisateurs. »

Pour le moment, la disparition d’AlphaBay provoque simplement une migration vers d’autres sites équivalents. La plate-forme Hansa a par exemple été noyée sous le nombre d’utilisateurs et a crashé quelques jours après, rapporte le site spécialisé Wired. Dream Market a lui aussi été hors-ligne pendant près d’une journée face à l’afflux d’internautes. « AlphaBay est devenu aussi grand lorsque Evolution a disparu. Evolution était devenu grand lorsque Silk Road 2 avait disparu… », constate Nicolas Christin. La fermeture par les autorités de Silk Road en 2013, très médiatisée, avait même doublé la fréquentation des autres marchés illégaux du dark Web, selon une étude d’Isak Ladegaard.

Sur les forums de discussion, les utilisateurs s’inquiètent de la manière dont les autorités s’y sont prises pour fermer le site – si tant est qu’elles en soient vraiment les responsables. Notamment pour savoir si elles pourraient potentiellement accéder à leurs informations, supposées rester anonymes et chiffrées. Sur l’un des fils de discussion de Reddit, invest674 se demande « à quel point les flics ont accès à l’historique d’AlphaBay dans le cas où ils ont les serveurs. Je suppose que beaucoup de gens risquent d’être identifiés s’ils ont l’historique des 30 derniers jours. »

L’autre inquiétude qui paralyse les internautes ? Que la marchandise soit de moins bonne qualité. En ligne, sur Reddit, un utilisateur se plaint de Dream Market : « Il y a du verre ou des morceaux de plastique très tranchants dans ma weed ! »