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Septième opéra du compositeur belge Philippe Boesmans depuis 1983, Pinocchio est aussi sa deuxième collaboration avec Joël Pommerat – après Au monde (2014). Dans les deux cas, le metteur en scène et dramaturge a adapté une pièce préexistante en ouvrage lyrique.

Théâtre et chant semblent coexister d’une manière pacifiée qui jamais ne fait remonter à la surface du souvenir la fameuse querelle de primauté entre les paroles et la musique. D’ailleurs, Pommerat et Boesmans ont conservé une vaste part à la déclamation parlée, confiée à un Monsieur Loyal incarné par le baryton Stéphane Degout, qui montre de surcroît qu’il est un saisissant acteur.

Mais parler de « déclamation » chez Pommerat est une erreur : la langue est rendue dans une simplicité presque « popu », sans artifices – pas même celui de se vouloir « popu ». C’est à la musique qu’est conféré le rôle d’enlumineuse, tant elle brode, par ses sortilèges sonores, une aura au texte.

Tantôt espiègle, pasticheuse (Philippe Boesmans adore les mémos musicaux) ou poétique, elle cache derrière sa surface virtuose et aguicheuse une mystérieuse profondeur qui ne se prive pourtant pas d’adresser un ironique pied de nez aux canons de l’avant-garde.

Pluralisme des genres

Réinventant le conte (créé entre 1881 et 1882) de Carlo Collodi, les deux artistes ont donné une cruauté badine à cette arche d’expérience de vie. On n’est pas loin du parcours initiatique de La Flûte enchantée, de Mozart, mais on sent davantage les liens qu’entretient ce Pinocchio avec L’Enfant et les Sortilèges (1919-1925), de Maurice Ravel : dans cette « fantaisie lyrique » alors écrite par Colette, il est aussi question d’une rédemption et d’un parcours semé de questionnements éthiques. D’ailleurs, Boesmans semble, dans la scène du bois et des oiseaux, rappeler de loin les bruissements animaliers de Ravel dans sa partition.

Véritable éponge sonore, le Belge se joue aussi des divers styles musicaux. Comme dans Wintermärchen (1999), l’une de ses nombreuses collaborations avec le metteur en scène et librettiste Luc Bondy, disparu en 2015, il a inclus un petit ensemble « de troupe », qui joue une musique exogène où le jazz côtoie la musique tzigane. On retrouve aussi des parodies d’opéras du XIXe siècle : la scène de la fée rappelle Cendrillon (créé entre 1894 et 1895) de Jules Massenet.

La mezzo soprano française Chloe Briot, dans le rôle de «Pinocchio», le 29 juin, à Aix-en-Provence. | BORIS HORVAT / AFP

Tout cela pourrait sonner comme un vain patchwork. Mais la fermeté du texte, son efficacité dans le déroulé de vingt-trois scènes quasi cinématographiques, alliées à l’extraordinaire sens de l’hybridation que témoigne la musique, mènent à une belle réussite.

Arte ne diffuse plus ce genre de captation lyrique mais la contrepartie est la mise à disposition sur Internet, jusqu’au 8 janvier, de ce spectacle filmé quelques jours après sa création, le 3 juillet, au Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Cette manifestation est dirigée par Bernard Foccroulle, un organiste et fidèle soutien de Philippe Boesmans depuis des lustres.

Pinocchio, de Philippe Boesmans, composition Joël Pommerat. Avec Yann Beuron, Chloé Briot, Stéphane Degout, Vincent Le Texier, Marie-Eve Munger, Klangforum Wien et Emilio Pomarico (dir.) (Fr., 2017, 161 min).