C’est une première mondiale, mais pas un conte de fées. Un enfant qui avait dû être amputé des deux mains a reçu à l’âge de 8 ans une double greffe. Un an et demi après avoir procédé à l’intervention, Sandra Amaral et ses collègues de l’équipe de l’Hôpital pour enfants de Philadelphie (CHOP) et de l’Université de Pennsylvanie publient, mardi 18 juillet, dans le Lancet Child & Adolescent Health, un bilan positif assorti de sérieux bémols.

L’histoire médicale tragique de cet enfant afro-américain originaire de Baltimore débute il y a près de 8 ans. Agé de 2 ans, Zion Harvey contracte une infection à staphylocoque qui se généralise en une septicémie. Propagée par voie sanguine, l’infection entraîne une gangrène : des cellules de son corps meurent en masse, les extrémités de ses membres se nécrosent, ce qui oblige les chirurgiens à l’amputer des deux mains et des deux pieds pour enrayer la progression. Ses reins ne fonctionnent plus.

Pour le membre supérieur droit, l’amputation est pratiquée au-dessus du poignet. A gauche, les chirurgiens parviennent à préserver l’articulation, qui conserve une certaine capacité de flexion et d’extension. L’enfant parvient à saisir une fourchette avec ses deux moignons ou à ouvrir une porte.

Mise sous traitement immunosuppresseur permanent

Traitée deux années durant par dialyse, l’insuffisance rénale qu’il a développée justifie la transplantation d’un rein donné par sa mère, pratiquée alors que l’enfant a 4 ans. Cette greffe rénale impose la mise sous un traitement immunosuppresseur permanent destiné à prévenir le rejet du greffon. C’est un point fondamental.

Dès lors qu’il doit poursuivre indéfiniment un traitement antirejet, susceptible de favoriser le développement d’un diabète, d’infections ou d’un cancer, envisager une greffe des mains ne soulève plus les mêmes questionnements éthiques qui ont accueilli ce type de transplantation. La première a été réalisée chez l’adulte en France en 1998 et, chez l’enfant, en 2000 en Malaisie. En effet, pratiquer une chirurgie dont la survie ne dépend pas – comme dans le cas d’une greffe rénale – en faisant courir des risques majeurs à un enfant n’est pas justifiable, rappelle Marco Lanzetta (Institut italien de chirurgie de la main, Monza) dans un commentaire qui accompagne l’article.

Lorsque, soutenue par la famille dûment informée, l’équipe de Philadelphie a soumis au comité d’éthique de son hôpital son projet de double greffe, la permission leur a été accordée en partant de l’idée que « les risques potentiels étaient estimés marginalement accrus au départ par l’immunosuppression ». Le risque paraissait donc acceptable chez cet enfant qui a lui-même exprimé son souhait de recevoir des mains par le biais d’une intervention chirurgicale, en sachant qu’elle pouvait ne pas marcher.

Quarante professionnels de santé mobilisés

La transplantation a été précédée d’une longue période de 18 mois de préparation impliquant différents services de chirurgie, de transplantation, de psychologie, et de kinésithérapie et ergothérapie. Il s’agissait à la fois de réaliser un bilan fonctionnel et d’évaluer les capacités cognitives et physiques de l’enfant dans la réalisation de tâches quotidiennes.

Un donneur décédé a été identifié en juillet 2015, et présentait des caractéristiques à la fois immunologiques et physiques (âge, couleur de peau…) compatibles. Une quarantaine de professionnels de santé ont été mobilisés, répartis en quatre équipes travaillant simultanément. Ce type de greffe, dite composite, est complexe et nécessite en effet aussi bien des spécialistes d’orthopédie (os) que des chirurgiens expérimentés dans le raccordement des muscles, des tendons, des vaisseaux et des nerfs.

Les suites opératoires n’ont pas été simples et il a fallu une surveillance quotidienne des plus rigoureuses pour détecter les moindres signes de rejet, malgré le traitement immunosuppresseur renforcé avec l’ajout de corticoïdes. Y ont été adjoints une rééducation kinésithérapique et ergothérapique, une évaluation neurologique du contrôle cérébral de la motricité et de la sensibilité, et un suivi psychologique.

Des mouvements des doigts dès les premiers jours

Dès les premiers jours suivant la double greffe, Zion Harvey était capable de quelques mouvements des doigts grâce à ses propres ligaments. Au cours des mois suivants, les mouvements volontaires ont été plus nets (au 8e mois pour la main droite et au 10e pour la gauche). Des tests répétés ont mis en évidence les progrès dans la maîtrise des tâches manuelles. Sur le plan sensitif, la récupération s’est progressivement faite au cours de la première année. La consolidation osseuse s’est bien déroulée.

C’est autour de six mois après la transplantation que l’enfant a été capable de se nourrir lui-même, alors qu’il avait des capacités limitées à le faire auparavant, et à tenir un stylo pour écrire. Après huit mois, il pouvait utiliser des ciseaux et au bout d’un an, il était en mesure de manier une batte de base-ball à deux mains.

Au total, Zion a connu huit épisodes de réaction de rejet, dont deux sérieuses aux 4e et au 7e mois après l’intervention. Ce qui a nécessité des ajustements du traitement immunosuppresseur qui ont mis à l’épreuve sa fonction rénale, qui avait diminué de moitié, et ont suscité quelques infections.

Le Dr Amaral estime que cette opération « montre que la chirurgie de transplantation de la main est possible lorsqu’elle est contrôlée avec soin et s’appuie sur une équipe de chirurgiens, de spécialistes de la greffe, de kinésithérapeutes, de travailleurs sociaux et de psychologues. Dix-huit mois après l’intervention, l’enfant est plus indépendant et capable de conduire des activités quotidiennes. Il continue à progresser en suivant une thérapie quotidienne pour accroître le fonctionnement de sa main et en bénéficiant d’un soutien psychosocial. »

Les enfants abandonnent l’usage des prothèses

La première des questions que l’on pourrait se poser serait de savoir quel avantage une telle greffe présente sur la pose de prothèses, dont la qualité et les performances n’ont cessé de se sophistiquer. Dans l’article décrivant leur travail, les médecins de Philadelphie rappellent que, chez les enfants, le taux d’abandon des prothèses de membres atteint 45 %. Cela a été le cas de Zion Harvey, qui préférait finalement se servir de ses membres amputés pour la plupart des tâches à réaliser.

C’est évidemment parce que cet enfant était de toute façon sous traitement immunosuppresseur que la transplantation a été autorisée. Si tel n’avait pas été le cas, on peut douter qu’elle aurait reçu le feu vert du comité d’éthique de l’Hôpital pour enfants de Philadelphie. Néanmoins, outre le manque de greffons compatibles pour les enfants, l’on peut aussi questionner l’appréciation de « risques potentiels marginalement accrus » avec un traitement comprenant des corticoïdes. L’équipe de Philadelphie n’écarte pas un impact négatif sur la croissance osseuse de ce fait. En tout cas, le Dr Amaral reconnaît que, « bien que le résultat fonctionnel soit positif et que le garçon tire bénéfice de cette greffe, cette chirurgie est très astreignante pour l’enfant et sa famille ».

Les progrès en matière d’effets indésirables des traitements antirejet, attendus depuis vingt ans, pourraient à l’avenir rendre moins discutables les greffes composites.