Manifestation devantla Cour suprême, à Varsovie, le 16  juillet. | AGENCJA GAZETA / REUTERS

Les débats sur l’adoption de la loi très controversée sur la Cour suprême polonaise, unanimement décriée par les juristes comme un nouveau coup porté à la Constitution du pays, ont connu, mardi 18 juillet au soir, un rebondissement inespéré. En plein milieu de débats houleux à la Diète, la Chambre basse du Parlement, le président Andrzej Duda a menacé d’apporter son veto au texte, posant au passage un ultimatum à la majorité ultraconservatrice du PiS (Droit et justice), dont il est issu.

Le président a en effet usé de son droit d’initiative pour déposer un amendement à une autre loi, votée mercredi 12 juillet sur le statut du Conseil national de la magistrature. M. Duda exige désormais que les membres de cette institution-clé, qui a un pouvoir décisif sur la nomination des juges, soient élus à une majorité qualifiée des trois cinquièmes de la Diète, et non plus à la majorité simple, comme le prévoyait le texte initial.

« Ce projet doit empêcher que l’on puisse dire que le Conseil national de la magistrature est une structure appropriée par un parti politique, et que, par conséquent, elle agit sous un diktat politique. On ne peut pas laisser cette impression dans la société polonaise, a affirmé le président dans une allocution solennelle. Je ne signerai pas la loi sur la Cour suprême, même si elle est adoptée par le Parlement, si ma proposition de réforme n’est pas adoptée et ne devient pas partie intégrante du système juridique polonais. »

« Notaire »

Le président a pris de court les membres de la majorité, car il n’a pas prévenu le gouvernement et la direction du parti. « C’est son initiative, à laquelle il a le droit, a admis la porte-parole du PiS, Beata Mazurek. Nous ne disons pas non mais, pour que cette proposition soit effective, le président doit signer la loi sur le Conseil national de la magistrature, et quand il l’aura signée, nous allons procéder à l’amendement qu’il a évoqué. » Quelques heures plus tard, le chef de cabinet du président Duda, Krzysztof Szczerski, a salué un « accord important » à l’issue d’une réunion avec les présidents de la Diète : « Les amendements réclamés par le président seront intégrés. »

Cet échange témoigne d’un bras de fer engagé entre le président de la République et l’homme fort de la majorité, Jaroslaw Kaczynski. Andrzej Duda avait jusque-là fait preuve de peu d’autonomie vis-à-vis de son parti, au point de se voir qualifier par les médias de « simple notaire » de Jaroslaw Kaczynski, à qui il doit son ascension politique. Si la proposition du président venait à être adoptée, elle compliquerait considérablement la tâche de la majorité pour la nomination des juges, car le PiS devrait entrer dans des tractations complexes avec les partis d’opposition.

En réponse à l’initiative présidentielle, la majorité a décidé d’accélérer les travaux sur le texte, le renvoyant en deuxième lecture sans passer par l’étape de Commission parlementaire. La séance nocturne a rapidement pris des tournures hystériques. Jaroslaw Kaczynski, dans un excès de colère, a violemment accusé l’opposition, qui venait de citer son frère, Lech, l’ex-président mort en 2010 dans la catastrophe de Smolensk : « N’essuyez pas vos gueules de traître avec le nom de mon frère de sainte mémoire ! Vous l’avez détruit, assassiné ! Vous êtes des canailles ! » L’opposition a déposé plus de 1 300 amendements en seconde lecture, et la séance a été levée jusqu’à mercredi matin.

Jusque tard dans la nuit, une foule très dense de plusieurs milliers de personnes était rassemblée autour du palais présidentiel et du Parlement, des bâtiments encadrés par des barrières et par un important dispositif policier. « Les tribunaux doivent être libres, nous exigeons un veto ! », scandaient les manifestants, brandissant bougies et roses blanches, et lisant des extraits de la Constitution. Plusieurs milliers de manifestants se sont également rassemblés dans d’autres villes du pays.

Les organisations de juges, de leur côté, restent prudentes quant à l’initiative du président. « Globalement, c’est un pas dans la bonne direction. La majorité qualifiée est toujours une meilleure garantie que la majorité simple pour élire des juges compétents, confie au Monde Dariusz Zawistowski, président du Conseil national de la magistrature et membre de la Cour suprême. Mais ce geste ne change pas le fond du problème : cette loi, même avec cet amendement, reste inconstitutionnelle et ne respecte pas les standards européens. »

Procédure accélérée « douteuse »

Un des principaux objets d’inquiétude est la division du Conseil en deux chambres, une composée de juges, l’autre de responsables politiques, où ces derniers auraient un droit de veto sur les décisions des juges. « La loi sur la Cour suprême, elle aussi, reste inconstitutionnelle sur de nombreux points, car elle remet en cause le principe d’inamovibilité des juges inscrit dans la Constitution », ajoute M.Zawistowski.

Le juge qualifie également de « douteuse » la procédure d’adoption accélérée de cette loi de nature organique, qui s’est déroulée sans aucune consultation avec les milieux juridiques. « Le Conseil national de la magistrature n’a même pas eu le temps d’émettre un avis formel avant la première lecture au Parlement. »

Les travaux sur ce texte ont provoqué de nombreuses réactions internationales, mardi. Le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, ainsi que le président du Parlement européen, Antonio Tajani, ont notamment exprimé leurs vives inquiétudes. « Ce projet de loi (…) peut aller à l’encontre des principes fondamentaux des traités européens », a estimé M. Tajani, dans une lettre ouverte au président Duda.