Ahmed, le 27 juin 2017. | Sandra Mehl pour Le Monde

Encore une date à marquer d’une pierre blanche. La vitre du train express régional qui l’emmène de Vichy à Clermont-Ferrand renvoie à Ahmed l’image d’un réfugié heureux. Ce 11 juillet, il est en route pour signer son contrat d’intégration républicaine, une étape nouvelle pour lui en France.

Dire qu’il y a un mois encore, il ne savait pas de quel côté pencherait la balance. Réfugié ou refusé ? Déchirer un coin de l’enveloppe lui a suffi pour connaître le verdict. Une feuille rose… c’était bon ! Pour ce moment fort en adrénaline, Pablo, un Vichyssois qu’il qualifie de « frère », était à ses côtés. Il l’avait même accompagné à la poste récupérer le précieux recommandé, celui qui décidait de tout l’avenir d’Ahmed. Dès l’apparition de la couleur, tous deux ont levé le poing en signe de victoire. Gagné ! Ç’aurait même été « champagne ! » si le jeune Soudanais de 27 ans avait été moins scrupuleux avec les interdits de l’islam.

Des mois de léthargie et d’attente

Parce qu’être réfugié, c’est avoir droit à un séjour de dix ans, Ahmed peut enfin se projeter depuis le mois de juin et se rêver un avenir ici. Arrivé en France en septembre 2015 après être passé par la Libye et l’Italie, Ahmed ose désormais regarder par-delà la chaîne des Puys et même plus loin que ce volcan endormi qu’il aperçoit par la vitre du train et qu’il a escaladé en 2016. Ce Puy-de-Dôme, c’est le point culminant de son nouveau décor auvergnat… Rien à voir avec le djebel Marra, le volcan du Darfour à deux pas de Nyala, sa ville. Mais il les aime tous les deux.

La vie s’accélère donc à nouveau pour lui après les mois de léthargie et d’attente durant lesquels il guettait la réponse de l’Office français des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Tout devient donc possible. Le contrat d’intégration républicaine qu’il s’apprête à signer va même lui permettre d’être naturalisé français, un jour, s’il le souhaite. A plus court terme, il va enfin pouvoir bénéficier de cours officiels de français. Jusque-là, l’Etat ne lui a rien enseigné. Seul un groupe de bénévoles vichyssois s’est mobilisé matin et après-midi pour partager la si précieuse langue de Molière et de Flaubert, mais surtout de Saint-Exupéry qu’Ahmed s’essaie à lire le soir dans sa chambre.

S’il rêve de s’exprimer avec précision et trouve qu’il pourrait être plus efficace, le Soudanais a déjà fait du chemin depuis son arrivée en France en septembre 2015 et prouvé sa farouche volonté. « Au premier cours des bénévoles, j’ai appris à compter jusqu’à 10, au deuxième jusqu’à 100 et au troisième j’ai retenu l’alphabet », observe-t-il, méthodique, ayant toujours à portée de main, dans sa chambre de demandeur d’asile, un récapitulatif des règles de grammaires. Son kit de survie…

Le rêve de travailler chez Michelin

Dans les bureaux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), Véronique Maupoint, directrice territoriale, vient le saluer. L’auditrice de l’OFII lui promet 200 heures de français et deux jours de formation sur « les codes de la société française ainsi que les grandes dates qui ont fait l’Histoire de France ». De quoi faire encore un pas de plus vers l’intégration… Le programme le réjouit.

En 2016, 1 300 réfugiés ont comme lui signé un contrat d’intégration républicaine dans cette aile de la préfecture du Puy-de-Dôme et y ont bénéficié des 200 heures de cours qui passeront bientôt à 400. Au cours de l’entretien durant lequel Ahmed raconte sa formation initiale et ses années d’études, le réfugié apprend aussi qu’il pourra bientôt changer son permis de conduire soudanais. Un soulagement. « Ça va m’aider pour trouver une formation ou un travail », glisse-t-il, doucement. Vraiment heureux. Car Ahmed et les voitures, c’est toute une histoire…

Les nouveaux arrivants : Ahmed, du Soudan à Vichy
Durée : 05:22

Au Soudan, où il a été chauffeur mécanicien pour une ONG de 2010 à 2014, il conduisait une Skoda Fabia, modèle 2011, sa voiture préférée, avant de venir en Europe. Maintenant, évidemment, la gamme s’est un peu élargie et il hésite un peu plus, même s’il a quelques coups de cœur. D’ailleurs, en sortant de la préfecture, une Audi A3 qui s’arrête à un feu attire automatiquement son regard. « Un jour, je pourrai m’en acheter une. J’adore cette voiture. Il paraît qu’en Allemagne on peut en trouver à de bons prix », lance-t-il, enjoué. En fait, Ahmed aime l’univers automobile au point de rêver, une fois qu’il sera bien intégré, de travailler chez Michelin, l’immense fabrique de pneus de Clermont.

« La chance qu’on respecte votre vie »

Un travail, un appartement, une famille… « Une vie normale », dit-il, en rêvant de cette situation qu’il a encore du mal à penser à portée de main, parce que sa vie n’a pas toujours été simple. « Mon père est mort en 2009. Moi, j’ai dû travailler à 14 ans », raconte-t-il. Comme beaucoup de jeunes Soudanais, il faisait des petits boulots, comme la vente de tickets dans le camion-bus qui appartenait à la famille… Puis il a pu trouver un emploi de chauffeur mécanicien pour une ONG, emploi qu’il aimait.

« Les nouveaux arrivants » : les Soudan Célestins Music, des réfugiés chanteurs à Vichy

Et là, un silence s’abat sur la chambre d’Ahmed, bien rangée, une couverture pliée sur le lit pour en faire un canapé durant le jour. Le revoilà ramené à cette nuit où sa vie a basculé et où il a été obligé de prendre la route vers le nord. « Juste salué ma mère et j’ai filé », commente-t-il, laconique. Ahmed était menacé par le Service national de renseignement et de sécurité (NISS) parce qu’il travaillait pour une ONG.

« Evidemment, j’aurais préféré rester. J’aime mon pays, j’étais bien avec ma famille. Mais ça n’a pas été possible. Je ne suis pas sûr que vous mesurez en France la chance que vous avez qu’on respecte votre vie, observe le jeune homme. Depuis, ma mère, mes deux frères et mes quatre sœurs vivent dans un camp. Ce n’est pas facile pour eux. Maman compte beaucoup sur moi. » Ahmed l’appelle régulièrement et lui envoie de l’argent dès qu’il peut.

« Quand j’étais inquiet de ne pas avoir de réponse à ma demande d’asile, elle a su me rassurer », ajoute-t-il, heureux de penser à elle, comme il est heureux de se souvenir de sa jeune épouse restée elle aussi là-bas. « C’est difficile, on s’est peu vus depuis le mariage parce que j’ai dû partir de façon précipitée avant qu’on ne fasse la grande fête de notre union. » Et si Ahmed sait que sa mère ne le rejoindra pas, il commence déjà à penser qu’une fois intégré, son épouse, elle, pourra venir.