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En juin, une affaire de harcèlement sexuel pousse Travis Kalanick, le PDG d’Uber, à démissionner. A la suite de cette affaire, d’autres femmes prennent la parole et plusieurs dirigeants, investisseurs et fondateurs de start-up sont contraints de démissionner, parfois sans reconnaître les faits : Dave McClure (fondateur de 500 start-up) et Justin Caldbeck (Binary Capital) ont quitté leur poste à la suite de plaintes pour harcèlement, Chris Sacca (Lowercase Capital) a publié une note d’excuse sur Medium et une ancienne employée de Tesla a affirmé avoir été licenciée après avoir porté plainte pour harcèlement. Des journalistes travaillant dans ce domaine, par exemple pour le site spécialisé dans les nouvelles technologies TechCrunch, ont également affirmé avoir été confrontées au harcèlement par leurs sources dans le milieu.

Dans cette vague de témoignages, la libération de la parole des victimes se fait sur le Web, grâce au Web : Susan Fowler, l’employée d’Uber qui a provoqué la démission du directeur général, a publié son témoignage sur un blog. Les autres ont été relayés par Twitter, encourageant de nouvelles victimes à se manifester.

Dans la foulée de ces révélations, CNN publie une série de vidéos de témoignages de femmes qui ont subi un ou plusieurs épisodes de harcèlement. Six femmes fondatrices de start-up confrontées à des hommes « dans des positions de pouvoir ». La plupart du temps, des investisseurs, qui envoient des propositions par sms ou par e-mail, ou qui agressent physiquement leur interlocutrice lors de rendez-vous professionnels.

« La Silicon Valley traite les investisseurs comme des demi-dieux »

Car comme l’écrivait le Guardian le 9 juillet, l’ingrédient « clé » du succès d’une start-up est l’investissement : « La Silicon Valley traite ces investisseurs comme des demi-dieux, devant lesquels les fondateurs de start-up doivent parader pour rester à flots. » Et ce sont souvent les femmes qui en paient le prix, ces investisseurs étant en grande majorité des hommes.

« C’est une question d’ego et de pouvoir », explique Lisa Wang, cofondatrice de Sheworx, dans la vidéo diffusée par CNN. Les journalistes qui ont travaillé sur le sujet du harcèlement sexuel dans le milieu des nouvelles technologies ne sont elles-mêmes pas en reste. Dans une autre vidéo de la même série, la journaliste Laurie Seagall, qui a interrogé les six témoins, offre son propre récit de rencontres avec des investisseurs qu’elle cherche à interroger pour sa rubrique. Plusieurs d’entre eux lui font par sms des allusions sexuelles, et des propositions.

Un monde peu codifié

Depuis l’affaire d’Uber, les témoignages de ce style sont de plus en plus nombreux, dessinant peu à peu un problème « systémique ». Le New York Times affirme avoir reçu plus d’une vingtaine de témoignages, outre les cas emblématiques cités plus haut. Mais pourquoi ce problème touche-t-il particulièrement le monde des nouvelles technologies ? Il y a, d’abord, une longue tradition de déséquilibre homme-femme, encourageant l’esprit « frat party » de certaines entreprises, dénoncé chez Uber. Ce mot désigne les fêtes organisées dans les foyers de jeunes gens dans les universités, parfois connues pour encourager un culte très fort de la virilité.

Mais aussi une course à la réussite qui donne un peu tous les droits. Jennifer Schwartz, avocate dans des cas de discrimination dans le secteur, décrit ce problème dans les colonnes du Guardian :

« La culture de cette industrie est focalisée sur l’idée qu’il n’y a pas de limites et que tout ce qui compte c’est de gagner de l’argent. Tout le reste passe au second plan dans le désir des gens de créer la prochaine révolution, d’avoir la prochaine grande idée. »

Mais il y a aussi une réelle dynamique de pouvoir, complètement disproportionnée en faveur des investisseurs, dans un univers peu codifié, où l’interaction entre investisseur et fondateur de start-up n’est protégée par aucune juridiction, et où l’on ne peut s’en plaindre à personne, ces rencontres se faisant hors du cadre de l’entreprise :

« Ces hommes-là sont invincibles. Ils sont si accomplis professionnellement et si admirés que la plupart des femmes n’oseront pas parler, de peur de détruire leur carrière de manière définitive. C’est un tout petit monde. »

Dans la plupart des cas évoqués devant la caméra de CNN, les agresseurs profitent également d’une frontière floue entre le travail et les loisirs. Ces situations se sont présentées, pour la plupart, au restaurant ou au bar d’un hôtel. Dans ces « lieux d’interaction sociale », comme l’explique Fei Deyle, créatrice de la start-up Lollipuff, la frontière est rapidement gommée, y compris avec l’aide de l’alcool.

Selon certains acteurs du secteur, cette vague de témoignages pourrait contribuer à changer durablement la culture de ce secteur. Sam Altman, le président de Y Combinator, une entreprise de financement de start-up, a déclaré que la Silicon Valley était peut-être en train de connaître un tournant, notamment dans l’attitude des hommes, qui commencent peu à peu à considérer le harcèlement comme un « vrai problème ».