Mario Draghi, président de la BCE, à Francfort le 20 juillet. | DANIEL ROLAND / AFP

Mario Draghi sait-il encore murmurer à l’oreille des marchés ? Oui. Mais l’exercice est de plus en plus délicat. Jeudi 20 juillet, à l’issue de la réunion de la Banque centrale européenne (BCE), le président de l’institution a délivré un message : il n’est pas pressé de sevrer l’économie européenne de ses soutiens. « Un degré élevé de politique monétaire accommodante est toujours nécessaire afin que les pressions inflationnistes sous-jacentes se renforcent, a-t-il répété à deux reprises. Nous devons nous montrer persistants, patients et prudents. »

En conséquence, l’institut de Francfort a laissé inchangés son taux directeur (0 %) et son taux de dépôt (– 0,4 %). Il n’a pas modifié non plus son programme de rachat de dettes publiques et privées (le « quantitative easing » en anglais, ou QE), entamé en mars 2015, à l’époque pour 80 milliards d’euros par mois. Son volume, aujourd’hui de 60 milliards d’euros, ne diminuera pas avant début 2018. Et la BCE, insistant sur la nécessité de se montrer « flexible », se garde la possibilité de l’augmenter ou de le prolonger dans le temps si nécessaire. Un message similaire à celui qu’elle avait délivré début juin.

Une réunion pour rien ? Disons plutôt que pour le « dottore » Draghi, l’enjeu était de mettre les points sur les « i » après Sintra. Le 27 juin, lors du forum annuel de la BCE, au Portugal, l’Italien avait en effet déclaré que l’institut de Francfort allait « accompagner la reprise en ajustant les paramètres de ses instruments ». Une phrase sibylline pour le commun des mortels. Mais que les investisseurs, sur le qui-vive, ont traduit comme le signal d’une fermeture plus rapide que prévue du robinet à liquidités, auquel ils sont accros.

« L’inflation n’est pas au niveau où nous le souhaitons »

Dans la foulée, les taux souverains se sont tendus. Les rendements allemands à dix ans sont ainsi passés de 0,24 % à plus de 0,50 %. Et l’euro a retrouvé son plus haut niveau depuis quatorze mois. « Les marchés ont surréagi aux déclarations de Sintra, estime William de Vijlder, économiste en chef de BNP Paribas. Il ne fait aucun doute que la BCE se montera infiniment prudente dans la réduction de ses achats de dette et le relèvement de ses taux. »

C’est ce que M. Draghi a rappelé jeudi, indiquant que les modalités du QE seraient discutées à l’automne. C’est-à-dire la réunion du 26 octobre. Un rendez-vous que les marchés suivront de près, dans l’espoir d’en savoir plus sur le calendrier futur.

En attendant, une chose est sûre : tous les clignotants sont au vert dans la zone euro. La reprise se généralise, la production industrielle accélère partout et le taux de chômage (9,3 %) est au plus bas depuis mars 2009. L’économie va enfin mieux. Au point d’être en mesure de se passer de la béquille monétaire ? Oui, estiment de plus en plus d’économistes. Pas encore, juge pour sa part la BCE. Car l’inflation, elle, reste décevante. En juin, elle est ressortie à 1,3 %, encore loin de la cible de 2 % de l’institution. « L’inflation n’est pas au niveau où nous le souhaitons », a insisté M. Draghi, lors de sa conférence de presse.

Séquelles de la récession

Adepte de la politique des petits pas, la BCE prendra donc le temps qu’il faut pour réduire la voilure de son QE et remonter ses taux. Doucement, tout au long de 2018 et 2019, l’institution retirera ses soutiens monétaires, sans brusquerie, afin de ne pas heurter l’économie. Une remontée trop brutale des taux pourrait en effet nuire au crédit, à l’investissement et aux finances publiques des Etats les plus fragiles.

En outre, les séquelles de la récession – créances douteuses en Italie, dettes privées élevées au Portugal ou encore, chômage important en Espagne et en Grèce – sont encore présentes. Enfin, la remontée de l’euro face au dollar complique également la donne, puisqu’elle tire vers les prix des produits importés vers le bas. Inutile, donc, de précipiter les choses… « La BCE restera présente sur le marché pendant longtemps encore », a résumé M. Draghi.

Mais à se montrer si prudente, ne risque-t-elle pas de se retrouver sans marges de manœuvre lors du prochain ralentissement ? Ses taux bas ne vont-ils pas alimenter la formation de bulles, comme le redoutent nombre d’observateurs Allemands ?

Interrogations sur la pertinence de la cible inflation

Face à ces interrogations, nombre d’économistes estiment que la banque centrale devrait s’interroger sur la pertinence de sa cible d’inflation. Dans un monde où les prix sont de moins en moins dynamiques, fait-elle encore sens ? « Plus vraiment », estime Patrick Artus, chef économiste de Natixis. Car les salaires, principal moteur de l’inflation hors matières premières, progressent moins vite qu’avant, même en situation de plein-emploi. « Ce n’est pas tout : autrefois, les entreprises s’ajustaient à la hausse des salaires en augmentant leurs prix, mais aujourd’hui, elles le font plutôt en tassant leur marge », ajoute M. Artus. Selon lui, la BCE devrait plutôt caler sa politique monétaire sur le taux de chômage.

Peut-être. Mais difficile d’imaginer que l’institut de Francfort opère un tel changement au moment où il entame le périlleux retrait de ses liquidités. Surtout : il reste convaincu que les faiblesses du marché du travail, comme les forces freinant le retour de l’inflation, sont temporaires. Et finiront par se dissiper.

En attendant l’automne, les marchés vont désormais se tourner vers les Etats-Unis. Mardi 25 et mercredi 26 juillet, le comité de politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) se réunira à son tour. Au programme : le calendrier de remontée des taux. Et la faiblesse de l’inflation, qui fait également débat outre-Atlantique…