Des réfugiés afghans au Square Villemin, à Paris, le 18 juillet. | Diane Grimonet / Diane Grimonet

« Romantique ? » Le terme ne viendrait pas à l’esprit de Latif pour raconter le canal Saint-Martin, l’écluse ou l’Hôtel du Nord. « Bobo ? » La sonorité du mot le fait sourire mais, intraduisible en pachto, le concept le laisse interdit. Pour cet Afghan, arrivé à Paris il y a deux mois, le quartier des Récollets derrière la gare de l’Est et son épicentre, le square Villemin, est en train de redevenir la zone de ralliement des Afghans de Paris ; un point c’est tout.

« C’est l’adresse que tes amis te donnent quand tu arrives en France », précise l’homme de 35 ans. Pour lui comme pour Parwan, Abbas ou Assan, qui partagent le même morceau de carton sur la pelouse, la géographie parisienne de l’exil passe par La Chapelle, La Villette avant de faire escale dans ce coin du 10e arrondissement.

« D’abord, j’ai dormi pendant un mois sur le trottoir boulevard de La Villette, avant de pouvoir entrer un matin à France Terre d’asile récupérer un rendez-vous de dépôt de demande d’asile ». Latif était allé voir porte de La Chapelle s’il était plus rapide de passer par le centre humanitaire, avant de renoncer, comprenant que ce serait la même galère. Cette étape franchie, il patiente square Villemin, tuant le temps avant son dépôt de demande d’asile dans vingt jours.

Coups de chaud

« Ici, on est 150 la nuit, plus le jour », estime-t-il, en phase avec le comptage de la Mairie de Paris. Par petits groupes de deux, trois ou plus, ils sont allongés ou assis dans l’herbe, guettant la moindre bribe d’air frais sous les frondaisons, comme les habitants du quartier. Pour un peu, on les confondrait avec des locaux… Sauf que les Parisiens finissent par sortir leur pique-nique, ou partager une bouteille de rosé dans des verres à pied, quand Assan, Latif et les autres attendent la distribution caritative de 21 heures.

Depuis 2002, le bord du canal glisse régulièrement à l’heure afghane entre deux évacuations. Rares sont les Afghans de France qui ne sont pas passés par ce « Petit Kaboul » dont se souvient Abbas, un réfugié venu voir mardi 18 juillet « des gens du pays ». Une façon de soigner son mal des montagnes ; de rendre service aussi. « Quand je suis arrivé en 2013, on était bien plus nombreux. J’ai souffert du froid ici, chaque fois que je reviens j’y repense. Pour moi, c’est du passé, mais j’aime venir voir de quoi mes amis ont besoin », confie le réfugié, qui vit à La Courneuve et travaille dans le bâtiment. « Ça va pour moi, la galère est finie », sourit-il.

Depuis 2003 et l’augmentation de l’exode afghan, le lieu est ballotté entre jours tranquilles et coups de chaud. En 2011, après qu’un jeune Afghan y a été poignardé, il leur est resté fermé un moment. En 2009 déjà, les exilés y avaient été interdits comme l’été 2008 où la police avait délogé tout le monde à coups de gaz antiémeute.

Cette fois, le partage de l’espace semble fonctionner, même si certains riverains commencent à se plaindre de ce récent retour en nombre. Toutes à leurs conversations, à peine un œil sur les jeux des enfants, les mères de famille, semblent se moquer de qui est installé à quelques mètres d’elles ; les vieux du coin, eux, comptent les points de la pétanque, pendant que deux riverains, Nassir et Luigi, discutent sur un banc. « Dans jardin public, y’a “public” », professe le premier, avant que le second rappelle que « tant qu’y a pas de bagarre ou de bazar, et que le lieu reste propre, moi j’ai rien à redire ».