Le défenseur des droits, Jacquses Toubon, vendredi 21 juillet, au centre de transit de la porte de La Chapelle, à Paris.

« On commence par où ? » Le défenseur des droits, Jacques Toubon, jette un œil à droite à gauche, opère presque un tour complet sur lui-même. Il est 9 heures, Porte de La Chapelle, à Paris, et les migrants affluent de tous côtés. La file d’attente pour un petit-déjeuner chaud s’allonge, la file d’entrée dans le centre de transit est déjà bien longue. C’est comme cela tous les matins, dans le 18e arrondissement de la capitale.

Ce vendredi, Jacques Toubon est venu mesurer lui-même ce qu’il se passe autour du point d’accueil mis en place en novembre 2016 par la Mairie de Paris et empêché de fonctionner à plein régime par l’Etat, ce qui fait que l’endroit ne désemplit pas

Le lieu est symbolique, fait-il observer, car « il permet de voir les deux facettes de la politique. D’une part, il y a, à l’intérieur du centre, des migrants qui sont bien pris en charge, preuve que l’on sait faire ; de l’autre, il y a tous ceux qui ne parviennent pas à y entrer et qui montrent que le plan annoncé par le gouvernement la semaine dernière est décevant ».

Pour M. Toubon, « il aurait fallu que le gouvernement propose la mise en place de cinq à dix centres de premier accueil un peu partout en France pour éviter aux migrants de dormir dehors, pour les nourrir et apporter une réponse à leurs problèmes de santé ».

« La migration c’est une fuite, pas la quête d’un Eldorado »

C’est la première fois que le défenseur des droits s’exprime depuis l’annonce, le 12 juillet, du plan du gouvernement pour « garantir le droit d’asile » et « mieux maîtriser les flux migratoires », basé sur une politique sacrifiant l’accueil et augmentant la « dissuasion migratoire ».

En l’occurrence, l’ex-ministre de la justice (1995-1997) de Jacques Chirac rejette la crainte d’un appel d’air, qui a amené le gouvernement d’Edouard Philippe à prendre de telles mesures : « L’appel d’air ça n’a aucun sens, la migration c’est une fuite, pas la quête d’un Eldorado », balaie M. Toubon d’un revers de main.

Sur un plot en ciment, un groupe de Soudanais attend. Les traits tirés après des nuits sur le terre-plein central au milieu du boulevard des maréchaux, l’un d’eux lève ses yeux fatigués. « Monsieur, pourquoi êtes-vous là ce matin ? », lui demande M. Toubon. De fil en aiguille, l’homme, qui attend de déposer sa demande d’asile, lui raconte le Darfour, la traversée de la Méditerranée et son désarroi, ici.

« Cet homme incarne ce qui ne fonctionne pas, résume M. Toubon. Chaque personne qui entre en France doit voir ses droits fondamentaux respectés. Ce sont des droits inconditionnels et c’est à l’Etat à y répondre. Or, une nouvelle fois, nous avons un gouvernement qui va proposer un nouveau texte de loi à la rentrée au Parlement. C’est la même chose depuis 1974 et ça ne résout rien. »

La crainte d’un été difficile

« Je pensais que le nouveau gouvernement allait faire un état des lieux et prendre des mesures pragmatiques, poursuit le défenseur des droits, sans lâcher des yeux l’homme qui lui fait face. Le plan du gouvernement est décevant, je le répète car il ne prend aucune distance. Il s’inscrit dans la ligne des politiques successives qui dysfonctionnent depuis trente ans. Il suffit de regarder ce qu’il se passe à Calais, que j’ai dénoncé. Il suffit d’analyser ce qu’il se passe ici. »

Si M. Toubon craint que l’été soit difficile, il s’inquiète aussi pour le sort que le gouvernement Philippe réserve aux « dublinés ». La France considère qu’elle doit renvoyer en Italie, en Allemagne ou plus largement dans un autre pays d’Europe, les demandeurs d’asile qui y ont laissé leurs empreintes. Or, si ces renvois se multiplient, les retours en France sont exponentiels.

M. Toubon rappelle que ces « renvois au nom de Dublin ne sont pas obligatoires » : il existe « une clause dans le règlement de Dublin qui permet à la France de prendre leur demande d’asile en compte, comme il existe un article de notre Constitution qui permet aussi de le faire ».

Emmanuel Macron a certes déclaré, lors d’un Conseil européen fin juin, qu’il fallait « accueillir des réfugiés car c’est notre tradition et notre honneur », mais en pratique « la volonté politique » reste aux abonnés absents, déplore M. Toubon, en regardant autour de lui les dizaines d’Afghans, Soudanais et Erythréens qui ne parviennent qu’après moult efforts et bien des nuits blanches à déposer une demande d’asile au pays des droits de l’homme.