Quatre heures de discussions nocturnes pour un enjeu crucial. Le cabinet de sécurité israélien s’est réuni, dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 juillet, afin de débattre des mesures de sécurité autour de l’Esplanade de mosquées (mont du Temple pour les juifs), dans la vieille ville de Jérusalem. Benyamin Nétanyahou devait décider du sort des portiques de détection de métaux, mis en place à plusieurs entrées vers le lieu saint pour les musulmans après l’assassinat de deux policiers, le 14 juillet, par trois Arabes israéliens.

Ces portiques concentrent la colère des Palestiniens, qui se mobilisent depuis une semaine aux abords de l’esplanade et refusent d’y pénétrer, préférant prier dans la rue. Des dizaines de personnes ont été blessées au cours d’affrontements avec les policiers aux frontières.

Le bureau du premier ministre a fait savoir que les portiques seraient maintenus mais qu’il revenait à la police de décider de la nature des mesures prises. Celle-ci a interdit, vendredi, l’accès à la vieille ville aux hommes palestiniens de moins de 50 ans, pour essayer de prévenir les affrontements redoutés à l’occasion de la grande prière.

Près de 3 000 policiers mobilisés

« Israël est engagé en faveur du maintien du statu quo sur le mont du Temple et de la liberté d’accès aux lieux saints, dit le communiqué. Le cabinet a autorisé la police israélienne à assurer la liberté d’accès aux lieux saints tout en maintenant la sécurité publique et l’ordre. » Face au dilemme politique auquel il était confronté, Benyamin Nétanyahou a préféré ne pas trancher franchement et s’en remettre à l’appareil sécuritaire.

A peine rentré de son séjour en Europe, à Paris et à Budapest, le premier ministre a dû se placer en configuration de crise. Le WAQF, la fondation pieuse jordanienne gérant l’esplanade, où se trouve notamment la mosquée Al-Aqsa, a appelé les fidèles à affluer vendredi pour la grande prière aux abords du lieu saint. Les responsables du culte musulman ont aussi indiqué que les mosquées seraient fermées à Jérusalem-Est, pour encourager les Palestiniens à se déplacer.

A Jérusalem, près de 3 000 policiers ont été mobilisés dans la vieille ville et ses abords, avec une attention particulière autour de la porte des Lions, où les prières de rue ont été organisées. En Cisjordanie, cinq bataillons de l’armée sont aussi en alerte pour répondre à tout accès de violence.

Appels à la raison ignorés

Benyamin Nétanyahou était sous la pression de la droite nationale religieuse, incarnée par le ministre de l’éducation Naftali Bennett. Celui-ci a affirmé que « se soumettre à la pression palestinienne porterait atteinte à la dissuasion israélienne ». Si le premier ministre avait retiré les portiques, son camp l’aurait accusé de faiblesse en matière de sécurité.

Les appels à la raison adressés en public et en coulisses par les Etats-Unis, les pays arabes et les diplomates européens n’y ont rien fait. Pas plus que l’opposition du Shin Bet (service de sécurité intérieur) au maintien des portiques, rapportée par la presse locale. La police, elle, serait au contraire favorable à cette mesure, alors que les portiques ne sont pas adaptés au passage, le vendredi, de dizaines de milliers de fidèles.

En maintenant les portiques, le gouvernement prend le risque d’un embrasement. Les Palestiniens sont convaincus que ces mesures de sécurité représentent un nouveau pas d’Israël pour prendre le contrôle total de l’esplanade. Ils lui prêtent l’intention d’imposer, à terme, une division du site entre juifs et musulmans, comme ce fut le cas au caveau des Patriarches, à Hebron.

L’importance religieuse et psychologique de la mosquée Al-Aqsa

Jeudi après-midi, la police avait diffusé les images des caméras de surveillance montrant l’itinéraire des trois Arabes israéliens, le 14 juillet. Ceux-ci ont bénéficié de l’aide d’un complice qui avait apporté les armes à feu sur l’esplanade. Les dirigeants israéliens essaient de banaliser l’installation de portiques, rappelant qu’ils existent déjà pour accéder au mur des Lamentations, pour les juifs et les non-juifs.

Lors de son voyage en Europe, M. Nétanyahou a fait une autre comparaison, devant les journalistes israéliens. « Lorsque j’ai visité la tour Eiffel, j’ai noté que quelque chose avait changé. Vous savez quoi ? Ils ont installé des détecteurs de métaux. »

Mais cette pédagogie sécuritaire méprise l’importance religieuse et psychologique de la mosquée Al-Aqsa pour les Palestiniens. Privés de toute perspective politique et de l’émergence d’un véritable Etat, soumis depuis cinquante ans au régime d’occupation, ils voient le lieu saint comme le cœur battant de leur identité, un rare havre de paix et un lopin de souveraineté menacé, dans une ville annexée par Israël depuis 1967.

C’est particulièrement vrai à Jérusalem-Est, où la population palestinienne vit dans une sorte de trou noir, délaissée par tous. Elle ne relève pas de l’Autorité palestinienne, tandis que la mairie de Jérusalem la néglige. Aucun autre lieu ou sujet ne mobilise autant la martyrologie palestinienne qu’Al-Aqsa. Le gouvernement israélien prend le risque de l’activer.