Benjamin Griveaux, sécrétaire d’Etat auprès du ministre des finances, Bruno Le Maire, ministre des finances, Edouard Philippe, premier ministre, et Stéphane Travert, ministre de l’agriculture, le 20 juillet aux Etats généraux de l’alimentation, à Paris. | MARTIN BUREAU / AFP

Malgré un discours d’ouverture du premier ministre salué unanimement comme prometteur et plutôt exhaustif, la journée d’ouverture des Etats généraux de l’alimentation, jeudi 20 juillet, tenue dans un climat consensuel, n’a pas fait complètement illusion. Il y eut bien sûr les absences remarquées et commentées dans les couloirs du ministère de l’économie, à Bercy, où se tenait la réunion : celles du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, officiellement retenu par sa visite sur la base militaire d’Istres, et de deux des ministres annoncés, Agnès Buzyn (solidarités et santé) et Bruno Le Maire (économie et finances).

Mais c’est sur le fond que des craintes et quelques critiques se sont exprimées chez certains intervenants. La journée est en effet restée très focalisée sur l’agriculture. « Je ne suis pas sûr que ces Etats généraux soient bien nommés, ce sont les Etats généraux de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Sur les quatorze ateliers, seuls quatre sont consacrés à l’alimentation. J’espère qu’il n’y a pas un malentendu avec les consommateurs », a ainsi déclaré Alain Bazot, président de l’association UFC-Que choisir.

« Je pensais que ce serait des Etats généraux de l’alimentation, mais la détresse des agriculteurs, l’urgence de leur situation, a centré le débat sur la question agricole, note aussi Nicolas Bricas, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui intervenait à la tribune sur le thème de l’agriculture durable et de la transition écologique. J’espère qu’il restera suffisamment de temps après octobre pour parler d’alimentation, y compris des limites de nos modèles alimentaires et de leurs conséquences sur la sécurité alimentaire des pays du Sud. »

Amour déclaré envers les paysans

La séance d’ouverture de ces Etats généraux, qui vont se prolonger jusqu’à la fin de l’année, avait plutôt bien commencé. Edouard Philippe, dans son discours, a ouvert tous les chantiers, en en présentant les enjeux, sur fond d’un amour déclaré envers les paysans et la nécessaire puissance agricole française, « élément de notre souveraineté nationale ».

Evoquant la mondialisation, le numérique ou encore le renouvellement des générations, le premier ministre a aussi insisté sur l’enjeu climatique. « Les inondations exceptionnelles du printemps 2016 ont eu de graves conséquences sur les productions céréalières réputées pour leur régularité. Le gel de ce début d’année a suscité beaucoup d’inquiétude chez les viticulteurs d’Alsace, du Jura, du Bordelais ou de Bourgogne. La sécheresse que nous connaissons cet été complique l’alimentation des animaux d’élevage », a ainsi développé Edouard Philippe, évoquant la possibilité que ces phénomènes ne deviennent, un jour, la règle.

Mais des problèmes environnementaux, il a été peu question en fait. « Tout le monde a compris qu’il y avait urgence à répondre à la crise de l’agriculture, mais moins à la crise environnementale et climatique, regrette Camille Dorioz, le responsable agriculture de France Nature Environnement (FNE). Nous sommes prêts à défendre un meilleur partage de la valeur ajoutée en faveur des agriculteurs, mais nous attendons un engagement fort de la filière agricole sur les enjeux environnementaux et sanitaires. » A ses yeux, pour être résolus, les problèmes doivent d’abord être posés et les questions qui fâchent abordées.

« 1 000 fromages, 1 000 modèles agricoles »

Et de fait, les propos liminaires des intervenants à la tribune ont pris soin de ne pas choisir entre les différents modes de production. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, avait, le matin, planté le cadre. « Nous devons trouver les compromis nécessaires pour faire vivre nos modèles agricoles. (…) Nous ne les opposons pas, ce sont des philosophies différentes qui correspondent à des marchés », a-t-il avancé.

L’après-midi, son homologue à la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, assurait que « l’idée n’est pas de détruire un modèle pour en construire un autre, mais de partir de l’existant ». Affirmant sa volonté de réconcilier agriculture et écologie, tout en évitant les stigmatisations, le ministre Hulot a néanmoins indiqué sa préférence pour un modèle plus vertueux : il faut « sortir de l’horizon un peu plat et dogmatique du toujours plus », a-t-il déclaré. Il a été le seul ministre à prononcer les termes d’agroécologie et de permaculture.

Ces divergences à peine évoquées seront sans doute débattues dans le cadre des ateliers qui se tiendront à partir de la fin août. La présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Christiane Lambert, dénonçant le fait qu’il y ait « trop souvent de la stigmatisation », a ainsi demandé à ce que l’on sorte notamment « du tabou de la non-irrigation », ce qui fait frémir les organisations environnementales.

« Au pays des 1 000 fromages, il y a 1 000 modèles agricoles », a lancé Mme Lambert. Quel modèle voudra-t-on promouvoir à l’issue des travaux des centaines de participants aux quatorze ateliers ? Là se niche l’une des incertitudes de ces Etats généraux. « Il faut arriver à sortir des postures, affronter les vrais problèmes. Si on dit qu’il faut promouvoir un modèle plus vertueux, il faut faire des choix politiques », insiste Arnaud Gauffier du Fonds mondial pour la nature (WWF).

Transition vers une agriculture durable

Audrey Pulvar, qui a succédé à Nicolas Hulot à la tête de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), s’inquiète aussi de l’absence d’un volet politique à ces Etats généraux. « Il faut que quinze, vingt ou trente mesures structurantes soient arrêtées, qu’elles soient inscrites dans une loi, comme pour le Grenelle de l’environnement [Nicolas Hulot avait d’ailleurs préconisé un format de ce type à l’origine, rappelle-t-elle]. Nous devons éviter qu’à la suite des chantiers de ces Etats généraux, le gouvernement n’en tire seul les conséquences. Il faut associer tout le monde à la construction de la réponse politique », plaide Audrey Pulvar.

Tout est donc loin d’être réglé. Et, preuve des crispations qui perdurent entre les ministères de l’agriculture et de la transition écologique, d’ultimes tensions ont eu lieu jusqu’à la veille de la réunion de jeudi sur le contenu des interventions. L’après-midi, le discours du ministre de la transition écologique devait être suivi de l’intervention de Nicolas Bricas, du Cirad. Alors que le cabinet de Nicolas Hulot lui avait commandé une présentation sur l’alimentation durable, celui de Stéphane Travert a changé la consigne, lui demandant de recentrer son propos sur l’agriculture. « C’est juste un loupé, indique-t-on du côté du ministère de M. Travert. Le sujet qu’on lui avait donné n’était pas celui de l’atelier. »

Finalement, le chercheur du Cirad évoquera bien la nécessité de revoir nos modèles de production et de consommation pour nourrir une planète à la démographie galopante. Mais son temps a été réduit pour permettre une autre prise de parole : celle de Philippe Mauguin, le président de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) – qui a dirigé le cabinet de l’ex-ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll – axée sur les cinq défis à relever pour réussir la transition vers une agriculture durable.