L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) – d’où est partie, en mars 2016, l’alerte relative au « purple drank », ce mélange à base de codéine qui a provoqué deux décès d’adolescents en 2017 – le reconnaît : il n’y a pas de « décision exactement similaire » à celle prise, par arrêté, le 12 juillet. A cette date, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a inscrit les médicaments à base de codéine sur la liste des produits délivrés sur ordonnance alors qu’ils étaient, jusque-là, disponibles en vente libre en pharmacie sous un certain seuil (30 mg par comprimé).

« Dans le cas de médicaments déjà prescrits sur ordonnance, on a pu, par le passé, constater des abus amenant à renforcer la sécurité du dispositif de délivrance », explique Nathalie Richard, directrice à l’ANSM. Ce fut le cas pour le zolpidem, somnifère connu sous le nom de Stilnox, prescrit depuis le printemps sur ordonnance sécurisée uniquement – celle utilisée pour les stupéfiants. « Autre changement pour mieux contrôler la prescription : limiter celle-ci à certains médecins, neurologues ou pédiatres. » Cela s’est fait, en 2012, pour le clonazépam, un traitement de l’épilepsie.

Il faudra donc désormais aussi passer par un médecin pour se procurer des médicaments codéinés. La décision, d’application immédiate, n’a pas pris que les patients de cours. « Il y a eu un flottement », assure une jeune pharmacienne, dans le XIVarrondissement de Paris. Certaines officines ont stoppé la vente dès la signature de l’arrêté, le 12 juillet, quand d’autres l’autorisaient encore le 13, quelques-unes permettant encore à leurs patients de faire des stocks à la veille du 14 juillet. « Des remontées de ce type, avec des patients cherchant à constituer une réserve et des pharmaciens un peu pris au dépourvu, on en a eu les premiers jours », confirme Alain Delgutte, à l’ordre national des pharmaciens.

Ce qui a pu se vérifier dans certaines pharmacies n’est néanmoins pas un constat général. Patrick Guérin, dirigeant d’OpenHealth, spécialiste français du traitement des données de santé, qui récupère au jour le jour les ventes de plus d’une pharmacie sur deux, n’a pas constaté de « phénomène de stockage significatif » autour du 12 juillet. « Il y a eu un léger pic de ventes hors prescription le 13, note-t-il, mais qui ne semble pas significatif à la veille d’un long week-end. »

« Mini-scène »

La pharmacienne du XIVe n’a pas eu de difficultés à renvoyer ses clients vers leur médecin traitant ; elle n’a eu à subir « qu’une mini-scène ». Une autre, dans le centre de Paris, a le sentiment de « bien gérer les demandes », même si elle ne cache pas ses réserves : « On va voir revenir des patients avec une ordonnance renouvelable et la posologie maximale. Est-ce que ce n’est pas plus dangereux pour eux, une réserve à domicile, que de se fournir boîte après boîte ? » Autre crainte : « Quand vous avez face à vous une personne intolérante aux anti-inflammatoires, en pleine rage de dents ou crise de migraine, on n’aura pas grand-chose à lui proposer de réellement efficace pour la soulager », renchérit une collègue.

Et pourtant, personne, ni l’ordre national des pharmaciens, ni l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, ne conteste, sur le fond, la mesure. C’est la méthode qui pose question. « Les changements de réglementation dans un délai aussi court sont extrêmements rares, reprend M. Delgutte. Il faut gérer des stocks de produits qui ne peuvent plus être conseillés ni vendus. »

Le risque passait-il nécessairement par une modification des règles de prescription ? A l’ANSM, on fait valoir qu’une interdiction de vente aux mineurs aurait été plus longue à obtenir. « Cela aurait nécessité un arsenal législatif plus lourd et n’aurait pas permis de protéger les jeunes de 18 ans ou plus », explique Mme Richard. « A la veille des vacances, il n’était pas tolérable de s’exposer à d’autres cas graves », plaide la spécialiste, en défendant une mesure « rapide » mais « pas précipitée ».