Petites cuillères, verres, fontaines, affiches, œuvres d’art… Le musée de l’Absinthe présente une multitude d’objets tous liés à la célèbre boisson anisée. | Musée de l'Absinthe

Une petite cuillère plate perforée, comme point de départ. Marie-Claude Delahaye n’avait pas une âme de collectionneuse, mais en bonne scientifique elle aimait comprendre. Comprendre à quoi pouvait bien servir ce petit objet en alliage argenté, négocié en 1981 quelques dizaines de francs sur une brocante.

Trente-six ans plus tard, l’ancienne maître de conférences en biologie cellulaire, aujourd’hui à la retraite, ne compte plus les petites cuillères, verres, fontaines, affiches, œuvres d’art… exposés dans son musée d’Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise) consacré à l’absinthe. Trois décennies de passion et d’érudition sont exposées dans une jolie demeure en pierre de taille aux volets verts. On y découvre, entre autres, que la cuillère percée accueillait un sucre que l’on arrosait d’eau fraîche, pour diluer le précieux liquide vert.

Entre marchés aux puces et bibliothèques

C’est donc par hasard que la septuagénaire affable, cheveux courts roux et robe bleu électrique, est tombée sur la « fée verte », l’autre nom de cette boisson anisée. Au fil des brocantes, des marchés aux puces, où elle dénichait « pour quatre sous » des objets, dans ses recherches en bibliothèque, elle a découvert « l’importance de l’absinthe dans la société française, son influence dans les arts et la vie intellectuelle de la Belle Epoque ».

Cette affiche publicitaire, datant d’environ 1895, fait partie de la collection du musée de l’Absinthe. | Delahaye / Musée de l'Absinthe

Van Gogh, Verlaine, Rimbaud, Degas… De nombreux artistes ont cherché l’inspiration dans cet élixir, jusqu’à la folie parfois… D’autres, comme Emile Zola dans L’Assommoir, ont décrit les ravages d’une boisson qui provoquait à haute dose hallucinations et convulsions en raison de la présence naturelle d’une molécule toxique, la tuyau. Accusée d’encourager l’alcoolisme du prolétariat, l’absinthe fut interdite en 1915. Il fallut attendre 2011 pour qu’elle soit autorisée à nouveau.

« Il y a trente ans, l’absinthe n’intéressait pas grand monde. Avec mon salaire de prof de fac, j’ai pu acheter de belles pièces. » Marie-Claude Delahaye

Marie-Claude Delahaye, qui ne boit jamais d’alcool, y consacre un premier livre en 1983. Vingt-quatre autres suivront. Au volant de sa Renault 5, pendant des années, le week-end et pendant les vacances, elle fait découvrir dans toute la France son trésor, gardé dans deux malles remplies d’objets. En 1992, elle achète une petite maison à Auvers-sur-Oise, lieu d’inspiration de nombreux impressionnistes. Deux ans, plus tard, elle y installe « son » musée, qui reçoit chaque année autour de 7 000 visiteurs du monde entier. « Aujourd’hui, pour avoir une telle collection, il faudrait avoir les moyens, dit Mme Delahaye. Il y a trente ans, l’absinthe n’intéressait pas grand monde. Avec mon salaire de prof de fac, j’ai pu acheter de belles pièces. »

La petite cuillère de Dracula

Sa collection ne passionne pas sa fille, professeure d’anglais, ni ses deux petits-enfants. Mais elle lui a permis de multiplier rencontres et voyages. C’est d’ailleurs toujours avec une mignonnette d’absinthe qu’elle part en voyage, comme dernièrement en Australie. « Je ne me suis pas noyée dans la fée verte, au contraire, j’ai eu une belle vie grâce à elle », assure-t-elle, devant la vitrine où est exposée la première cuillère. L’objet par lequel tout a commencé a même tutoyé les étoiles : dans Dracula (1992), de Francis Ford Coppola, Gary Oldman utilise la cuillère chinée de Marie-Claude pour distiller son sucre face à une ­Wynona Ryder ivre d’amour pour son vampire. L’absinthe vaut bien un suçon.