Le piano et le tennis ont un point commun : l’un et l’autre se jouent avec des cordes. L’analogie est sans doute trop mince pour justifier la présence de deux pianos à queue sur le court central en terre battue du Garden Tennis de Royan, ce vendredi 21 avril. Peu importe : la mise en scène est grossie à dessein. Chacun d’un côté du filet, Jean-François Zygel et André Manoukian disputent un match d’improvisation sous les ordres d’un arbitre perché sur sa chaise. Celui-ci distribue les exercices : variation sur une chanson populaire, composition sur le thème du désespoir (puis de la jalousie), ballade uniquement jouée avec les touches blanches (puis avec les noires)…

André Manoukian. | DR

Tous deux musiciens et animateurs d’émissions musicales, Zygel et Manoukian brodent à l’envi devant un public aux anges. Brel, Bach, Bill Evans, Brahms, Beethoven, Duke Ellington vont se croiser deux heures durant dans une battle endiablée, en préambule au Violon du sable. Créé il y a 30 ans, ce festival de musique classique est placé sous le signe du décloisonnement, au sens littéral du mot. Sa particularité est en effet de se dérouler totalement en plein air.

Jean-François Zygel. | DR

Cette année, la manifestation propose quatre méga-concerts jusqu’au 30 juillet. Un orchestre de 70 musiciens placé sous la direction de Jérôme Pillement accompagnera des solistes à l’envergure artistique difficilement contestable : Didier Lockwood, Patricia Petibon, François-René Duchable, Khatia Buniatishvilli… Gratuits (sauf pour ceux qui, arrivés au dernier moment, pourront acheter des places dans des gradins), les récitals se produisent devant une foule compacte assise sur la principale plage de sable fin de la ville. Entre 40 000 et 60 000 spectateurs sont attendus chaque soir, au pied des six immenses tours d’enceintes qui entourent la scène.

Concert sur la plage l’an dernier au Violon sur le sable. | DR

Là est le hic pour les puristes absents, pour qui la musique classique ne peut pas être sonorisée, et encore moins exécutée hors les murs, au mépris des règles de l’acoustique. « Malheureusement, on n’a pas d’autre solution que de faire ainsi. Je ne suis pas certain que cela soit un problème pour tout le monde dans le milieu de la musique classique. Une soprano de renom comme Patricia Petibon, par exemple, ne reviendrait pas cette année au Violon sur le sable si les conditions de diffusion ne lui convenaient pas », affirme Philippe Tranchet, le fondateur et patron du festival. Le montant des cachets explique peut-être cela, hasarde-t-on en regardant la liste des divas et autres virtuoses s’étant produit sur place. « Non, les artistes sont moins payés ici que dans des récitals classiques », assène-t--il.

Philippe Tranchet a créé la manifestation en 1987 alors qu’il dirigeait une radio locale, Royan Fréquence. A sa demande, un violoniste de l’Opéra de Paris, Patrice Mondon, avait alors interprété, en direct sur les ondes et habillé en queue-de-pie, l’Aria de Bach et Eleanor Rigby des Beatles (célèbre pour sa partie de cordes) sur la plage de la Grande-Conche devant quelques poignées de curieux. Le musicien était revenu l’année suivante avec un quatuor à cordes. L’orchestre grossira d’année en année, en même temps que le nombre de spectateurs, composés pour la plupart de touristes séjournant dans des appartements et des campings de la ville.

S’il a, depuis, ouvert sa programmation à des artistes de variété (Christophe Maé, Grand Corps Malade, Vianney) ou à des récitants issus du monde des médias (Patrick Poivre d’Arvor, Laurence Ferrari), Philippe Tranchet pourrait se targuer de participer à la démocratisation de la musique classique. « Ca n’a jamais été mon but, répond-il. Nous n’avons jamais eu cette ambition. C’est aussi pour cette raison que je ne prends pas mal les critiques qui nous sont faites. Nous ne sommes investis d’aucune mission. »

Danse classique sur parcours de golf, l’an dernier au Violon sur le sable. | Romain Brachet

Sauf celle consistant à démontrer que la musique et la danse classiques peuvent se transporter dans des lieux aussi insolites qu’un court de tennis, un phare, le toit d’une église ou un parcours de golf. En marge des gros concerts ayant lieu sur la plage, le festival organise ainsi en parallèle un « off » ayant pour cadre des lieux plus intimistes. Cette année, la pianiste géorgienne devenue récemment française Khatia Buniatishvilli se produira au sommet d’une falaise, au soleil couchant. Si la météo le permet.

Un Violon sur la plage, jusqu’au 30 juillet.