A 11 heures du matin, le soleil est déjà brûlant. Des dizaines de personnes serrées entre des barrières blanches font la queue. Certaines tiennent leur pochette de documents au-dessus du visage pour se protéger du soleil. Dans cet édifice blanc, TLS Contact, une agence privée, réceptionne les demandes de visa pour la France. Zinedine* sort du bâtiment, soulagé. « J’ai payé plus cher pour avoir un accès Premium. Je n’ai pas fait la queue, j’ai attendu dans une salle d’attente où il y avait des boissons à disposition. C’est moins difficile que pour eux, dit-il en désignant la file du menton. Avoir un visa, c’est le parcours du combattant. »

Depuis plusieurs mois, les Algériens qui demandent des visas pour se rendre en France font face à beaucoup d’obstacles. Idir, un enseignant de 43 ans, voulait, comme chaque année, passer ses vacances en France en famille. « Au mois d’avril, j’ai voulu prendre un rendez-vous pour pouvoir partir en juillet. La procédure est informatisée. Je suis familier des formalités, donc je ne me suis pas inquiété. Mais là, impossible de prendre un rendez-vous. J’y ai passé des heures pendant au moins trois semaines. » Idir a finalement renoncé à partir en France. Il emmènera toute sa famille en Tunisie. « Je travaille, je suis quelqu’un d’honnête, je vais en France depuis longtemps. C’est fatiguant et rageant de se sentir marginalisé comme ça, d’un seul coup, parce qu’on est né en Algérie », regrette-t-il.

« Des nuits entières debout »

Ahmed, artiste, a gagné une récompense pour son travail. Il a été invité par une institution culturelle française à venir récupérer son prix. « Il m’a été impossible d’avoir un rendez-vous pour déposer ma demande de visa. J’ai appelé l’ambassade de France, mais comme tout est externalisé, sans rendez-vous, ils ne peuvent rien faire. J’ai passé des nuits entières debout, parce que mon frère me disait que, vers 3 heures du matin, ça marchait. Mais rien à faire », raconte-t-il. Résultat : Ahmed n’a pas pu se rendre à la cérémonie de remise des prix.

Les problèmes ne s’arrêtent pas là. Aujourd’hui, il n’y a pas de rendez-vous disponible avant le mois de décembre. Or le système empêche les demandeurs de solliciter un rendez-vous plus de trois mois avant leur date de voyage. Résultat : les déplacements sont bloqués. Sofiane travaille en partenariat avec une entreprise installée à Marseille. « Impossible d’avoir un visa avant la fin de l’année. J’essaie depuis le mois de mars. J’ai annulé mon contrat avec mon partenaire. A la rentrée, je travaillerai avec les Turcs. Eux posent moins de problèmes. »

Plusieurs personnes ont raconté au Monde avoir été renvoyées des bureaux de TLS Contact, à Alger et à Oran, malgré leur obtention de rendez-vous, au prétexte d’un numéro de passeport trop long. Après la publication le 24 mai d’un article dans la presse algérienne faisant état de problèmes, l’ambassade de France en Algérie justifie dans un communiqué les difficultés d’obtention de visa par « l’approche de la saison estivale » et un « nombre très élevé de demandes ».

« Une histoire d’argent »

Cinq semaines plus tard, un nouveau communiqué annonce cette fois que les autorités françaises retirent le contrat de sous-traitance à l’opérateur TLS Contact, sans explication. Le sujet est sensible. Depuis plusieurs années, les différents ambassadeurs et consuls mettent un point d’honneur à annoncer le nombre de visas délivrés chaque année dans la presse algérienne. Ils insistent : le système s’améliore. Mais la confiance est loin d’être établie. « S’il n’y avait pas de réel dysfonctionnement, ils ne retireraient pas le contrat à TLS Contact. Donc ils se sont moqués de nous au début. Qui croire désormais ? », estime Idir.

Devant les barrières blanches, ceux qui viennent de déposer leurs dossiers sont dubitatifs. TLS Contact gère aussi les demandes de visa pour d’autres pays. « S’ils étaient si mauvais, pourquoi n’y a-t-il pas de problèmes avec les visas italiens ? », s’interroge un enseignant de français. Plusieurs personnes assurent que les agents ne donnent pas toutes les informations nécessaires. La liste des documents exigés a également été modifiée depuis plusieurs mois. « J’ai payé 3 500 dinars [27 euros] de plus pour l’accès Premium. J’ai eu toutes les informations nécessaires et on m’a même donné des conseils pour remplir mon dossier. Si ces conseils existent, pourquoi ne sont-ils pas donnés à tout le monde ? C’est donc bien une histoire d’argent ! », lâche Zinedine.

* Tous les prénoms ont été modifiés.